Page:Verhaeren - Les Moines, 1888.djvu/7

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Dans tes yeux luit l’émail tremblant d’un marais noir ;
Ta bouche ouverte semble un fruit tombé de l’arbre
Et qui gît là, fendu, sur un pavé de marbre.
 
Tes bras écartelés en croix semblent vouloir
S’étendre, comme un fleuve, à travers les campagnes,
Et toucher de leurs doigts les pieds verts des montagnes.


IV


Et mon amour sera le soleil fastueux,
Qui vêtira d’été torride et de paresses,
Les versants clairs et nus de ce corps montueux,
 
Il répandra sur toi sa lumière en caresses,
Et les attouchements de ce brasier nouveau,
Seront des langues d’or qui lécheront ta peau.

Tu seras la beauté du jour, tu seras l’aube
Et la rougeur des soirs tragiques et houleux ;
Tu feras de clartés et de splendeurs ta robe,

Ta chair sera pareille aux marbres fabuleux,
Qui chantaient, aux déserts, des chansons grandioses,
Quand le matin brûlait leurs blocs d’apothéoses.


V


Hiératiquement droit sur le monde, Amour !
Grand Dieu, vêtu de rouge en tes splendeurs sacrées,
Vers toi, l’humanité monte comme le jour,
 
Monte comme les vents et comme les marées ;
Nous te magnifions, Amour, Dieu jeune et roux,
Qui casses sur nos fronts tes éclairs de courroux,

Mais qui détends aussi dans le creux de nos moelles,
L’électrique frisson du plaisir éternel,
Et nous te contemplons, sous ton ciel solennel,

Où des cœurs mordus d’or, flambent au lieu d’étoiles,
Où la lune arrondit son orbe en sein vermeil,
Où la chair de Vénus met des lacs de soleil.