Page:Verne - Cinq Semaines en ballon.djvu/164

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« Rien ! se dit-il, rien ! »

Il sortit de la nacelle, et vint examiner le temps ; même chaleur, même dureté, même implacabilité.

« Faut-il donc désespérer ? » s’écria-t-il.

Joe ne disait mot, absorbé dans sa pensée, et méditant son projet d’exploration.

Kennedy se releva fort malade, et en proie à une surexcitation inquiétante. Il souffrait horriblement de la soif. Sa langue et ses lèvres tuméfiées pouvaient à peine articuler un son.

Il y avait encore là quelques gouttes d’eau ; chacun le savait, chacun y pensait et se sentait attiré vers elles ; mais personne n’osait faire un pas.

Ces trois compagnons, ces trois amis se regardaient avec des yeux hagards, avec un sentiment d’avidité bestiale, qui se décelait surtout chez Kennedy ; sa puissante organisation succombait plus vite à ces intolérables privations ; pendant toute la journée, il fut en proie au délire ; il allait et venait, poussant des cris rauques, se mordant les poings, prêt à s’ouvrir les veines pour en boire le sang.

« Ah ! s’écria-t-il ! pays de la soif ! tu serais bien nommé pays du désespoir ! »

Puis il tomba dans une prostration profonde ; on n’entendit plus que le sifflement de sa respiration entre ses lèvres altérées.

Vers le soir, Joe fut pris à son tour d’un commencement de folie ; ce vaste oasis de sable lui paraissait comme un étang immense, avec des eaux claires et limpides ; plus d’une fois il se précipita sur ce sol enflammé pour boire à même, et il se relevait la bouche pleine de poussière.

« Malédiction ! dit-il avec colère ! c’est de l’eau salée ! »

Alors, tandis que Fergusson et Kennedy demeuraient étendus sans mouvement, il fut saisi par l’invincible pensée d’épuiser les quelques gouttes d’eau mises en réserve. Ce fut plus fort que lui ; il s’avança vers la nacelle en se traînant sur les genoux, il couva des yeux la bouteille où s’agitait ce liquide, il y jeta un regard démesuré, il la saisit et la porta à ses lèvres.

En ce moment, ces mots : « À boire ! à boire ! » furent prononcés avec un accent déchirant.

C’était Kennedy qui se traînait près de lui ; le malheureux faisait pitié, il demandait à genoux, il pleurait.

Joe, pleurant aussi, lui présenta la bouteille, et jusqu’à la dernière goutte, Kennedy en épuisa le contenu.

« Merci », fit-il.

Mais Joe ne l’entendit pas ; il était comme lui retombé sur le sable.