Page:Verne - Cinq Semaines en ballon.djvu/259

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bas ; on entendait leurs cris et le galop des chevaux lancés à toute vitesse.

« Dans vingt minutes ils seront ici, fit Kennedy.

— De l’herbe ! de l’herbe ! Joe. Dans dix minutes nous serons en plein air !

— Voilà, monsieur. »

Le Victoria était aux deux tiers gonflé.

« Mes amis ! accrochons-nous au filet, comme nous l’avons fait déjà.

— C’est fait », répondit le chasseur.

Au bout de dix minutes, quelques secousses du ballon indiquèrent sa tendance à s’enlever. Les Talibas approchaient ; ils étaient à peine à cinq cents pas.

« Tenez-vous bien ! s’écria Fergusson.

— N’ayez pas peur, mon maître ! n’ayez pas peur ! »

Et du pied le docteur poussa dans le foyer une nouvelle quantité d’herbe.

Le ballon, entièrement dilaté par l’accroissement de température, s’envola en frôlant les branches du baobab.

« En route ! » cria Joe.

Une décharge de mousquets lui répondit ; une balle même lui laboura l’épaule ; mais Kennedy, se penchant et déchargeant sa carabine d’une main, jeta un ennemi de plus à terre.

Des cris de rage impossibles à rendre accueillirent l’enlèvement de l’aérostat, qui monta à plus de huit cents pieds. Un vent rapide le saisit, et il décrivit d’inquiétantes oscillations, pendant que l’intrépide docteur et ses compagnons contemplaient le gouffre des cataractes ouvert sous leurs yeux.

Dix minutes après, sans avoir échangé une parole, les intrépides voyageurs descendaient peu à peu vers l’autre rive du fleuve.

Là, surpris, émerveillé, effrayé, se tenait un groupe d’une dizaine d’hommes qui portaient l’uniforme français. Qu’on juge de leur étonnement quand ils virent ce ballon s’élever de la rive droite du fleuve. Ils n’étaient pas éloignés de croire à un phénomène céleste. Mais leurs chefs, un lieutenant de marine et un enseigne de vaisseau, connaissaient par les journaux d’Europe l’audacieuse tentative du docteur Fergusson, et ils se rendirent tout de suite compte de l’événement.

Le ballon, se dégonflant peu à peu, retombait avec les hardis aéronautes retenus à son filet ; mais il était douteux qu’il put atteindre la terre, aussi les Français se précipitèrent dans le fleuve, et reçurent les trois Anglais entre leurs bras, au moment où le Victoria s’abattait à quelques toises de la rive gauche du Sénégal.