Page:Verne - Cinq Semaines en ballon.djvu/94

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tement au nord pendant sept à huit degrés ; j’essayerai de remonter vers des latitudes présumées des sources du Nil ; peut-être apercevrons-nous quelques traces de l’expédition du capitaine Speke, ou même la caravane de M. de Heuglin. Si mes calculs sont exacts, nous nous trouvons par 32° 40′ de longitude, et je voudrais monter droit au delà de l’équateur.

— Vois donc ! s’écria Kennedy en interrompant son compagnon, vois donc ces hippopotames qui se glissent hors des étangs, ces masses de chair sanguinolente, et ces crocodiles qui aspirent bruyamment l’air !

— Ils étouffent ! fit Joe. Ah ! quelle manière charmante de voyager, et comme on méprise toute cette malfaisante vermine ! Monsieur Samuel ! monsieur Kennedy ! voyez donc ces bandes d’animaux qui marchent en rangs pressés ! Ils sont bien deux cents ; ce sont des loups.

— Non, Joe, mais des chiens sauvages ; une fameuse race, qui ne craint pas de s’attaquer aux lions. C’est la plus terrible rencontre que puisse faire un voyageur. Il est immédiatement mis en pièces.

— Bon ! ce ne sera pas Joe qui se chargera de leur mettre une muselière, répondit l’aimable garçon. Après ça, si c’est leur naturel, il ne faut pas trop leur en vouloir. »


Les hippopotames à la surface des étangs.


Le silence se faisait peu à peu sous l’influence de l’orage ; il semblait que l’air épaissi devînt impropre à transmettre les sons ; l’atmosphère paraissait ouatée et, comme une salle tendue de tapisseries, perdait toute sonorité. L’oiseau rameur, la grue couronnée, les geais rouges et bleus, le moqueur, les moucherolles disparaissaient dans les grands arbres. La nature entière offrait les symptômes d’un cataclysme prochain.

À neuf heures du soir, le Victoria demeurait immobile au-dessus de Mséné, vaste réunion de villages à peine distincts dans l’ombre ; parfois la réverbération d’un rayon égaré dans l’eau morne indiquait des fossés distribués régulièrement, et, par une dernière éclaircie, le regard put saisir la forme calme et sombre des palmiers, des tamarins, des sycomores et des euphorbes gigantesques.

« J’étouffe ! dit l’Écossais en aspirant à pleins poumons le plus possible de cet air raréfié ; nous ne bougeons plus ! Descendrons-nous ?

— Mais l’orage ? fit le docteur assez inquiet.

— Si tu crains d’être entraîné par le vent, il me semble que tu n’as pas d’autre parti à prendre.

— L’orage n’éclatera peut-être pas cette nuit, reprit Joe ; les nuages sont très hauts.

— C’est une raison qui me fait hésiter à les dépasser ; il faudrait monter à une grande élévation, perdre la terre de vue, et ne savoir pendant toute la nuit si nous avançons et de quel côté nous avançons.