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Occupons-nous donc des voyageurs, et cela est d’autant plus aisé qu’il est facile de circuler d’un bout à l’autre du train. Avec quelque imagination, on peut se croire dans une sorte de bourgade roulante, dont je m’apprête à parcourir la rue principale.

Je rappelle pour mémoire que la locomotive et le tender sont suivis du fourgon à l’angle duquel est déposée la caisse mystérieuse, et que la logette de Popof occupe le coin gauche de la plate-forme du premier wagon.

À l’intérieur de ce wagon je remarque quelques Sarthes de grande et fière mine, drapés de leurs longues robes à couleurs voyantes, sous lesquelles passent les bottes en cuir soutaché. Ils ont de beaux yeux, une barbe superbe, le nez busqué, et on en ferait volontiers de véritables seigneurs, à la condition d’ignorer que le mot « Sarthe » signifie revendeur, et ceux-ci se rendent sans doute à Tachkend, où ces revendeurs pullulent.

C’est aussi dans ce wagon que les deux Chinois ont pris place, l’un en face de l’autre. Le jeune Céleste regarde à travers la vitre. Le vieux Céleste — un Ta-lao-yé, c’est-à-dire un personnage âgé, — ne cesse de tracasser les pages de son volume. Ce volume, petit in-32, semblable à un Annuaire du Bureau des Longitudes, est recouvert de drap pelucheux comme un bréviaire de chanoine, et lorsqu’il est refermé, ses plats sont maintenus par une bride en caoutchouc. Ce qui m’étonne, c’est que le propriétaire dudit bouquin ne semble pas le lire de droite à gauche. Est-ce qu’il ne serait pas imprimé en caractères chinois ?… À vérifier.

Sur deux sièges contigus sont assis Fulk Ephrinell et miss Horatia Bluett. Ils causent en crayonnant des chiffres. Je ne sais si le pratique Américain murmure à l’oreille de la pratique Anglaise l’adorable vers qui fit palpiter le cœur de Lydie :

Nec tecum possum vivere sine te !

Mais ce que je sais bien, c’est que Fulk Ephrinell peut parfaitement