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le passager de l’atlanta.

ne fût fort diminué, et chacun s’effrayait de n’avoir plus à toucher sa part d’émotions quotidiennes.

Il n’en fut rien ; l’incident le plus inattendu, le plus extraordinaire, le plus incroyable, le plus invraisemblable vint fanatiser à nouveau les esprits haletants et rejeter le monde entier sous le coup d’une poignante surexcitation.

Un jour, le 30 septembre, à trois heures quarante-sept minutes du soir, un télégramme, transmis par le câble immergé entre Valentia (Irlande), Terre-Neuve et la côte américaine, arriva à l’adresse du président Barbicane.

Le président Barbicane rompit l’enveloppe, lut la dépêche, et, quel que fût son pouvoir sur lui-même, ses lèvres pâlirent, ses yeux se troublèrent à la lecture des vingt mots de ce télégramme.

Voici le texte de cette dépêche, qui figure maintenant aux archives du Gun-Club :

« FRANCE, PARIS.
« 30 septembre, 4 h matin.
« Barbicane, Tampa, Floride,
« États-Unis.

« Remplacez obus sphérique par projectile cylindro-conique. Partirai dedans. Arriverai par steamer Atlanta.

« Michel Ardan. »

CHAPITRE XVIII

LE PASSAGER DE L’ATLANTA.

Si cette foudroyante nouvelle, au lieu de voler sur les fils électriques, fût arrivée simplement par la poste et sous enveloppe cachetée, si les employés français, irlandais, terre-neuviens, américains n’eussent pas été nécessairement dans la confidence du télégraphe, Barbicane n’aurait pas hésité un seul instant. Il se serait tu par mesure de prudence et pour ne pas déconsidérer son œuvre. Ce télégramme pouvait cacher une mystification, venant d’un Français surtout. Quelle apparence qu’un homme quelconque fût assez audacieux pour concevoir seulement l’idée d’un pareil voyage ? Et si cet homme existait, n’était-ce pas un fou qu’il fallait enfermer dans un cabanon et non dans un boulet ?