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l’école des robinsons

merce et de l’industrie. Ses fonds inépuisables alimentèrent des centaines d’usines, ses navires en exportèrent les produits dans l’univers entier. Sa richesse s’accrut donc dans une progression non seulement arithmétique, mais géométrique. On disait de lui ce que l’on dit généralement de ces « milliardaires », qu’il ne connaissait pas sa fortune. En réalité, il la connaissait à un dollar près, mais il ne s’en vantait guère.

Au moment où nous le présentons à nos lecteurs avec tous les égards que mérite un homme de « tant de surface », William W. Kolderup comptait deux mille comptoirs, répartis sur tous les points du globe ; quatre-vingt mille employés dans ses divers bureaux d’Amérique, d’Europe et d’Australie ; trois cent mille correspondants ; une flotte de cinq cents navires qui couraient incessamment les mers à son profit, et il ne dépensait pas moins d’un million par an rien qu’en timbres d’effets et ports de lettres. Enfin c’était l’honneur et la gloire de l’opulente Frisco, — petit nom d’amitié que les Américains donnent familièrement à la capitale de la Californie.

Une enchère, jetée par William W. Kolderup, ne pouvait donc être qu’une enchère des plus sérieuses. Aussi, lorsque les spectateurs de l’ « auction » eurent reconnu celui qui venait de couvrir, avec cent mille dollars, la mise à prix de l’île Spencer, il se fit un mouvement irrésistible, les plaisanteries cessèrent à l’instant, les quolibets firent place à des interjections admiratives, des hurrahs éclatèrent dans la salle de vente.

Puis un grand silence succéda à ce brouhaha. Les yeux s’agrandirent, les oreilles se dressèrent. Pour notre part, si nous avions été là, notre souffle se serait arrêté, afin de ne rien perdre de l’émouvante scène qui allait se dérouler, si quelque autre amateur osait entrer en lutte avec William W. Kolderup.

Mais était-ce probable ? Était-ce même possible ?

Non ! Et tout d’abord, il suffisait de regarder William W. Kolderup pour se faire cette conviction, qu’il ne céderait jamais dans une question où sa valeur financière serait en jeu.

C’était un homme grand, fort, tête volumineuse, épaules larges, membres bien attachés, charpente de fer, solidement boulonnée. Son regard bon, mais résolu, ne se baissait pas volontiers. Sa chevelure grisonnante « touffait » autour de son crâne, abondante comme au premier âge. Les lignes droites de son nez formaient un triangle rectangle géométriquement dessiné. Pas de moustaches. Une barbe taillée à l’américaine, rudement fournie au menton,