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Cela avait coûté à chacun de ces jeunes gens un salut médiocre, une simple inclinaison de tête, à laquelle le corps, raidi outre mesure, n’avait point pris part. Évidemment il n’y aurait jamais sympathie entre ces deux caractères. L’un courait le ciel pour y décrocher les étoiles, l’autre pour en calculer les éléments ; l’un, artiste, ne cherchait point à poser sur le piédestal de l’art ; l’autre, savant, se faisait de la science un piédestal, sur lequel il prenait des attitudes.

Quant à miss Campbell, elle boudait absolument Aristobulus Ursiclos. S’il était là, elle ne semblait plus s’apercevoir de sa présence ; s’il venait à passer, elle se détournait visiblement. En un mot, ainsi qu’il a été expliqué plus haut, elle le « coupait » avec toute la netteté du formalisme britannique. Les frères Melvill avaient quelque peine à en rassembler les morceaux. Quoi qu’il en soit, dans leur opinion, tout cela s’arrangerait, surtout si ce capricieux rayon voulait enfin paraître.

En attendant, Aristobulus Ursiclos observait Olivier Sinclair par-dessus ses lunettes, — manœuvre familière à tous les myopes, qui veulent regarder sans en avoir l’air. Et ce qu’il voyait : l’assiduité du jeune homme près de miss Campbell, l’aimable accueil que la jeune fille lui faisait en toute occasion, n’était sans doute pas pour lui plaire. Mais, sûr de lui-même, il se tint sur la réserve.

Cependant, devant ce ciel incertain, devant ce baromètre dont la mobile aiguille ne parvenait pas à se fixer, tous sentaient leur patience mise à une bien longue épreuve. Avec l’espoir de trouver un horizon dégagé de brumes, ne fût-ce que quelques instants au coucher du soleil, on fit encore deux ou trois excursions à l’île Seil, auxquelles Aristobulus Ursiclos ne crut pas devoir prendre part. Peine inutile ! Le 23 août arriva, sans que le phénomène eût daigné apparaître.

Alors, cette fantaisie devint une idée fixe, qui ne laissa plus place à aucune autre. Cela tournait à l’état d’obsession. On en rêvait nuit et jour, à faire craindre quelque nouveau genre de monomanie, — à une époque où il n’y a plus à les compter. Sous cette contention d’esprit, les couleurs se transformaient en une couleur unique : le ciel bleu était vert, les routes étaient vertes, les grèves étaient vertes, les roches étaient vertes, l’eau et le vin étaient verts comme de l’absinthe. Les frères Melvill s’imaginaient être vêtus de vert et se prenaient pour deux grands perroquets, qui prenaient du tabac vert dans une tabatière verte ! En un mot, c’était la folie du vert ! Tous étaient frappés d’une