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— Et je m’en sers ! » ajouta le frère Sib.

Au moment d’entrer dans Fingal’s Cave, les visiteurs s’arrêtèrent, sur le conseil de leur guide.

Devant eux s’ouvrait une sorte de nef, haute et profonde, pleine d’une mystérieuse pénombre. L’écart entre les deux parois latérales, au niveau de la mer, mesurait trente-quatre pieds environ. À droite et à gauche, des piliers de basalte, pressés les uns contre les autres, cachaient, comme dans certaines cathédrales de la dernière période gothique, la masse des murs de soutènement. Sur le chapiteau de ces piliers s’appuyaient les retombées d’une énorme voûte ogivale, qui, sous clef, s’élevait de cinquante pieds au-dessus des eaux moyennes.

Miss Campbell et ses compagnons, émerveillés de ce premier aspect, durent enfin s’arracher à leur contemplation et suivre cette saillie, qui forme la banquette intérieure.

Là se rangent, dans un ordre parfait, des centaines de colonnes prismatiques, mais de taille inégale, semblables aux produits d’une cristallisation gigantesque. Leurs fines arêtes se dégagent aussi nettement que si le ciseau d’un ornemaniste en eût profilé les lignes. Aux angles rentrants des unes s’adaptent géométriquement les angles sortants des autres. À celles-ci, il y a trois pans ; à celles-là, quatre, cinq, six, et jusqu’à sept ou huit, — ce qui, dans l’uniformité générale du style, met une variété qui prouve en faveur du sens artiste de la nature.

La lumière, venue du dehors, se jouait sur tous ces angles à facettes. Reprise par l’eau intérieure, réfléchie comme dans un miroir, s’imprégnant aux pierres sous-marines, aux herbes aquatiques, de teintes vertes, rouge sombre ou jaune clair, elle allumait de mille éclats les saillies des basaltes, qui plafonnaient en caissons irréguliers à la voûte de cette hypogée sans rivale au monde.

Au dedans régnait une sorte de silence sonore, — s’il est permis d’accoupler ces deux mots, — ce silence spécial aux excavations profondes, que les visiteurs ne songeaient pas à interrompre. Seul, le vent y promenait un effluve de ces longs accords, qui semblent faits d’une mélancolique série de septièmes diminuées, s’enflant et s’éteignant peu à peu. On eût cru entendre, sous son souffle puissant, résonner tous ces prismes comme les languettes d’un énorme harmonica. N’est-ce pas à cet effet bizarre qu’est dû le nom d’An-Na-Vine, « la grotte harmonieuse », ainsi que cette caverne est appelée en langage celtique ?