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le rayon-vert.

mité du plateau de Staffa qui regarde la pleine mer. Là, ils s’assirent sur les dernières roches, devant un horizon dont rien ne semblait devoir altérer le trait finement tracé par une ligne de ciel et d’eau.

Et cette fois, il n’y aurait pas d’Aristobulus Ursiclos pour venir interposer la voile d’une embarcation ou dresser une nuée d’oiseaux aquatiques entre le couchant et l’îlot de Staffa !

Cependant, la brise tombait avec le soir, et les dernières lames se mouraient, au pied des roches, dans le balancement du ressac. Plus au large, la mer, unie comme un miroir, avait cette apparence huileuse que la moindre ride eût suffi à troubler.

Toutes les circonstances se prêtaient donc merveilleusement à l’apparition du phénomène.

Mais voici qu’une demi-heure plus tard Partridge, étendant la main vers le sud, s’écria :

« Voile ! »

Une voile ! Viendrait-elle encore à passer devant le disque solaire, au moment où il disparaîtrait sous les flots ? En vérité, c’eût été plus que de la mauvaise chance !

L’embarcation sortait de l’étroit conduit qui sépare l’île d’Iona de la pointe de Mull. Elle filait, vent arrière, plutôt sous l’action de la marée montante que sous la poussée d’une brise dont les derniers souffles pouvaient à peine gonfler sa voilure.

« C’est la Clorinda, dit Olivier Sinclair, et comme elle fait roule pour atterrir dans l’est de Staffa, elle passera en dedans et ne pourra gêner notre observation. »

C’était la Clorinda, en effet, qui, après avoir contourné l’île de Mull par le sud, venait reprendre son mouillage à l’anse de Clam-Shell.

Tous les regards se reportèrent alors vers l’horizon de l’ouest.

Le soleil s’abaissait déjà avec la rapidité qui semble l’animer aux approches de la mer. À la surface des eaux tremblotait une large traînée d’argent, lancée par le disque, dont l’irradiation était encore insoutenable. Bientôt, de cette nuance de vieil or, qu’il prenait en tombant, il passait à l’or cerise. Devant les yeux, lorsqu’on les voilait de leurs paupières, miroitaient des losanges rouges, des cercles jaunes, qui s’entre-croisaient comme les fugitives couleurs du kaléidoscope. De légères stries ondulées rayaient cette sorte de queue de comète que la réverbération traçait à la surface des eaux. C’était comme un