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maître zacharius.

Enfin, il arriva que le vieillard, honteux de ces reproches, retira quelques pièces d’or de son vieux bahut et commença à racheter les montres endommagées. À cette nouvelle, les chalands accoururent en foule, et l’argent de ce pauvre logis s’écoula bien vite ; mais la probité du marchand demeura à couvert. Gérande applaudit de grand cœur à cette délicatesse, qui la menait droit à la ruine, et bientôt Aubert dut offrir ses économies à maître Zacharius.

« Que deviendra ma fille ? » disait le vieil horloger, se raccrochant parfois, dans ce naufrage, aux sentiments de l’amour paternel.

Aubert n’osa pas répondre qu’il se sentait bon courage pour l’avenir et grand dévouement pour Gérande. Maître Zacharius, ce jour-là, l’eût appelé son gendre et démenti ces funestes paroles qui bourdonnaient encore à son oreille :

« Gérande n’épousera pas Aubert. »

Néanmoins, avec ce système, le vieil horloger en arriva à se dépouiller entièrement. Ses vieux vases antiques s’en allèrent à des mains étrangères ; il se défit de magnifiques panneaux de chêne finement sculpté qui revêtaient les murailles de son logis ; quelques naïves peintures des premiers peintres flamands ne réjouirent bientôt plus les regards de sa fille, et tout, jusqu’aux précieux outils que son génie avait inventés, fut vendu pour indemniser les réclamants.

Scholastique, seule, ne voulait pas entendre raison sur un semblable sujet ; mais ses efforts ne pouvaient empêcher les importuns d’arriver jusqu’à son maître et de ressortir bientôt avec quelque objet précieux. Alors son caquetage retentissait dans toutes les rues du quartier, où on la connaissait de longue date. Elle s’employait à démentir les bruits de sorcellerie et de magie qui couraient sur le compte de Zacharius ; mais comme, au fond, elle était persuadée de leur vérité, elle disait et redisait force prières pour racheter ses pieux mensonges.

On avait fort bien remarqué que, depuis longtemps, l’horloger avait abandonné l’accomplissement de ses devoirs religieux. Autrefois, il accompagnait Gérande aux offices et semblait trouver dans la prière ce charme intellectuel dont elle imprègne les belles intelligences, puisqu’elle est le plus sublime exercice de l’imagination. Cet éloignement volontaire du vieillard pour les pratiques saintes, joint aux pratiques secrètes de sa vie, avait, en quelque sorte, légitimé les accusations de sortilège portées contre ses travaux. Aussi, dans le double but de ramener son père à Dieu et au monde, Gérande résolut d’appeler la religion à son secours. Elle pensa que le catholicisme pourrait rendre quelque vitalité à cette âme mourante ; mais ces dogmes de foi et d’humilité avaient à