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quarantième ascension française.

et très-habiles, purent heureusement l’arrêter au passage ; mais les nôtres, craignant avec raison que la caravane tout entière ne fût entraînée, voulurent se détacher. Levesque et moi, nous nous y opposons, et, en prenant les plus grandes précautions, nous arrivons sans encombre au bas de cette côte vertigineuse qu’il faut descendre en avant. Il n’y a pas d’illusion possible ; l’abîme, le vide presque sans fond est devant vous, et les morceaux de glace détachés qui passent près de vous en bondissant, avec la rapidité d’une flèche, vous montrent parfaitement la route que prendrait la caravane si vous veniez à manquer.

Une fois ce mauvais pas franchi, je commençai à respirer. Nous descendions les pentes peu inclinées qui conduisent au sommet du Corridor. La neige, ramollie par la chaleur, cédait sous nos pas ; nous y enfoncions jusqu’au genou, ce qui rendait notre marche très-fatigante. Nous suivions toujours nos traces du matin, et je m’en étonnais, quand Gaspard Simon, se tournant vers moi, me dit :

« Monsieur, nous ne pouvons pas prendre d’autre chemin, le Corridor est impraticable, et il faut absolument redescendre par le mur que nous avons grimpé ce matin. »

Je communiquai à Levesque cette nouvelle peu agréable.

« Seulement, ajouta Gaspard Simon, je ne crois pas que nous puissions rester attachés tous ensemble. Au reste, nous verrons comment M. N… se comportera au début. »

Nous avancions vers ce terrible mur. La caravane de M. N… commençait à descendre, et nous entendions les paroles assez vives que lui adressait Paccard. La pente devenait telle, que nous n’apercevions plus ni lui ni ses guides, quoique nous fussions toujours liés ensemble.

Dès que Gaspard Simon, qui me précédait, put se rendre compte de ce qui se passait, il s’arrêta, et, après avoir échangé quelques paroles en patois avec ses collègues, il nous déclara qu’il fallait se détacher de la caravane de M. N…

« Nous répondons de vous, ajouta-t-il, mais nous ne pouvons répondre des autres, et s’ils glissent, ils nous entraînerons. »

En disant cela, il se détacha.

Il nous en coûtait beaucoup de prendre ce parti ; mais nos guides furent inflexibles. Nous proposons alors d’envoyer deux d’entre eux prêter leur concours aux guides de M. N… Ils acceptent avec empressement ; mais, n’ayant pas de corde, ils ne peuvent mettre ce projet à exécution.

Nous commençons donc cette effroyable descente. Un seul de nous bougeait à la fois, et au moment où il faisait un pas, tous les autres s’arc-boutaient, prêts à soutenir la secousse s’il venait à glisser. Le guide de tête, Édouard Ravanel,