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Gérande regagna lentement sa chambre, et elle y demeura jusqu’au jour, sans que le sommeil appesantît ses paupières, tandis que maître Zacharius, toujours muet et immobile, regardait le fleuve couler bruyamment à ses pieds.



II

L’ORGUEIL DE LA SCIENCE


La sévérité du marchand genevois en affaires est devenue proverbiale. Il est d’une probité rigide et d’une excessive droiture. Quelle dut donc être la honte de maître Zacharius, quand il vit ces montres, qu’il avait montées avec une si grande sollicitude, lui revenir de toutes parts.

Or, il était certain que ces montres s’arrêtaient subitement et sans aucune raison apparente. Les rouages étaient en bon état et parfaitement établis, mais les ressorts avaient perdu toute élasticité. L’horloger essaya vainement de les remplacer : les roues demeurèrent immobiles. Ces dérangements inexplicables firent un tort immense à maître Zacharius. Ses magnifiques inventions avaient laissé maintes fois planer sur lui des soupçons de sorcellerie, qui reprirent dès lors consistance. Le bruit en parvint jusqu’à Gérande, et elle trembla souvent pour son père, lorsque des regards malintentionnés se fixaient sur lui.

Cependant, le lendemain de cette nuit d’angoisses, maître Zacharius parut se remettre au travail avec quelque confiance. Le soleil du matin lui rendit quelque courage. Aubert ne tarda pas à le rejoindre à son atelier et en reçut un bonjour plein d’affabilité.

« Je vais mieux, dit le vieil horloger. Je ne sais quels étranges maux de tête m’obsédaient hier, mais le soleil a chassé tout cela avec les nuages de la nuit.

— Ma foi ! maître, répondit Aubert, je n’aime la nuit ni pour vous, ni pour moi !

— Et tu as raison, Aubert ! Si tu deviens jamais un homme supérieur, tu comprendras que le jour t’est nécessaire comme la nourriture ! Un savant de grand mérite se doit aux hommages du reste des hommes.

— Maître, voilà le péché d’orgueil qui vous reprend.

— De l’orgueil, Aubert ! Détruis mon passé, anéantis mon présent, dissipe mon avenir, et alors il me sera permis de vivre dans l’obscurité ! Pauvre garçon, qui ne comprend pas les sublimes choses auxquelles mon art se rattache tout entier ! N’es-tu donc qu’un outil entre mes mains ?

— Cependant, maître Zacharius, reprit Aubert, j’ai plus d’une fois mérité vos