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le pays des fourrures.

— Actes ! privilèges ! fit dédaigneusement le Canadien, ce sont là des mots de la vieille Europe qui résonnent mal en Amérique.

— Aussi n’êtes-vous point en Amérique, mais sur le sol même de l’Angleterre ! répondit Jasper Hobson avec fierté.

— Monsieur le lieutenant, répondit le chasseur en s’animant un peu, ce n’est point le moment d’engager une discussion à ce sujet. Nous connaissons quelles sont les prétentions de l’Angleterre en général et de la Compagnie de la baie d’Hudson en particulier au sujet des territoires de chasses ; mais je crois que, tôt ou tard, les événements modifieront cet état de choses, et que l’Amérique sera américaine depuis le détroit de Magellan jusqu’au pôle Nord.

— Je ne le crois pas, monsieur, répondit sèchement Jasper Hobson.

— Quoi qu’il en soit, monsieur, reprit le Canadien, je vous proposerai de laisser de côté la question internationale. Quelles que soient les prétentions de la Compagnie, il est bien évident que dans les portions les plus élevées du continent, et principalement sur le littoral, le territoire appartient à qui l’occupe. Vous avez fondé une factorerie au cap Bathurst, eh bien, nous ne chasserons pas sur vos terres, et, de votre côté, vous respecterez les nôtres, quand les pelletiers de Saint-Louis auront créé quelque fort, en un autre point, sur les limites septentrionales de l’Amérique. »

Le front du lieutenant se rida. Jasper Hobson savait bien que, dans un avenir peu éloigné, la Compagnie de la baie d’Hudson rencontrerait de redoutables rivaux jusqu’au littoral, que ses prétentions à posséder tous les territoires du North-Amérique ne seraient pas respectées, et qu’un échange de coups de fusil se ferait entre les concurrents. Mais il comprit aussi, lui, que ce n’était point le moment de discuter une question de privilèges, et il vit sans déplaisir que le chasseur, très poli d’ailleurs, transportait le débat sur un autre terrain.

« Quant à l’affaire qui nous divise, dit le voyageur canadien, elle est de médiocre importance, monsieur, et je pense que nous devons la trancher en chasseurs. Votre fusil et le mien ont un calibre différent, et nos balles seront aisément reconnaissables. Que ce renard appartienne donc à celui de nous deux qui l’aura véritablement tué ! »

La proposition était juste. La question de propriété touchant l’animal abattu pouvait être ainsi résolue avec certitude.

Le cadavre du renard fut examiné. Il avait reçu les deux balles des deux chasseurs, l’une au flanc, l’autre au cœur. Cette dernière était la balle du Canadien.

« Cet animal est à vous, monsieur », dit Jasper Hobson, dissimulant mal son dépit de voir cette magnifique dépouille passer à des mains étrangères.