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le pays des fourrures.

répercutaient ces bruits, semblables à des roulements de tonnerre. Des crépitations incessantes accompagnaient la dislocation de quelques parties de l’icefield, écrasé par ces chutes de montagnes. Il fallait avoir l’âme singulièrement aguerrie aux violences de ces âpres climats pour ne point éprouver une impression sinistre. Le lieutenant Hobson et ses compagnons y étaient faits, Mrs. Paulina Barnett et Magde s’y habituèrent peu à peu. Elles n’étaient point, d’ailleurs, sans avoir éprouvé, pendant leurs voyages, quelque attaque de ces vents terribles qui font jusqu’à quarante lieues à l’heure et déplacent des canons de vingt-quatre. Mais ici, à ce cap Bathurst, le phénomène s’accomplissait avec les circonstances aggravantes de nuit et de neige. Ce vent, s’il ne démolissait pas, il enterrait, il ensevelissait, et il était probable que douze heures après le début de la tempête, la maison, le chenil, le hangar, l’enceinte, auraient disparu sous une égale épaisseur de neige.

Pendant cet emprisonnement, la vie intérieure s’était organisée. Tous ces braves gens s’entendaient parfaitement entre eux, et cette existence commune, dans un si étroit espace, n’entraîna ni gêne ni récrimination. N’étaient-ils pas, d’ailleurs, accoutumés à vivre dans ces conditions, au fort Entreprise comme au fort Reliance ? Mrs. Paulina Barnett ne s’étonna donc pas de les trouver d’aussi facile composition.

Le travail, d’une part, la lecture et les jeux, de l’autre, occupaient tous les instants. Le travail, c’était la confection des vêtements, leur raccommodage, l’entretien des armes, la fabrication des chaussures, la mise à jour du journal quotidien tenu par le lieutenant Hobson, qui notait les moindres événements de l’hivernage, tel que le temps, la température, la direction des vents, l’apparition des météores si fréquents dans les régions polaires, etc. ; c’était aussi l’entretien de la maison, le balayage des chambres, la visite journalière des pelleteries emmagasinées, que l’humidité aurait pu altérer ; c’était encore la surveillance des feux et du tirage des poêles, et cette chasse incessante faite aux molécules humides qui se glissaient dans les coins. Chacun avait sa part dans ces travaux, suivant les prescriptions d’un règlement affiché dans la grande salle. Sans être occupés outre mesure, les hôtes du fort n’étaient jamais sans rien faire. Pendant ce temps, Thomas Black vissait et dévissait ses instruments, revoyait ses calculs astronomiques ; presque toujours enfermé dans sa cabine, il maugréait contre la tempête qui lui défendait toute observation nocturne. Quant aux trois femmes mariées, Mrs. Mac Nap s’occupait de son bébé, qui venait à merveille, tandis que Mrs. Joliffe, aidée de Mrs. Raë et talonnée par le « tatillon » de caporal, présidait aux opérations culinaires.

Les distractions se prenaient en commun, à certaines heures, et le dimanche pendant toute la journée. C’était, avant tout, la lecture. La