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le pays des fourrures.

au froid ni aux ours. Brûlons tout ce qui peut être brûlé ici, et ensuite, que Dieu nous sauve ! »

Et alors, tous ces malheureux, à demi gelés, se relevèrent, la hache à la main, comme des fous. Les bancs, les tables, les cloisons, tout fut démoli, brisé, réduit en morceaux, et le poêle de la grande salle, le fourneau de la cuisine ronflèrent bientôt sous une flamme ardente, que quelques gouttes d’huile de morse activaient encore.

La température intérieure remonta d’une douzaine de degrés. Les soins les plus empressés furent prodigués au sergent. On le frotta de brandevin chaud, et peu à peu la circulation du sang se rétablit en lui. Les taches blanchâtres, dont certaines parties de son corps étaient couvertes, commencèrent à disparaître. Mais l’infortuné avait cruellement souffert, et plusieurs heures s’écoulèrent avant qu’il pût articuler une parole. On le coucha dans un lit brûlant, et Mrs. Paulina Barnett et Madge le veillèrent jusqu’au lendemain.

Cependant Jasper Hobson, Mac Nap et Raë cherchaient un moyen de sauver la situation, si effroyablement compromise. Il était évident que, dans deux jours au plus, ce nouveau combustible, emprunté à la maison même, manquerait aussi. Que deviendrait alors tout ce monde, si ce froid extrême persévérait ? La lune était nouvelle depuis quarante-huit heures, et sa réapparition n’avait provoqué aucun changement de temps. Le vent du nord couvrait le pays de son souffle glacé. Le baromètre restait au « beau sec », et, de ce sol qui ne formait plus qu’un immense icefield, aucune vapeur ne se dégageait. On pouvait donc craindre que le froid ne fût pas près de cesser ! Mais alors, quel parti prendre ? Devait-on renouveler la tentative de retourner au bûcher, tentative que l’éveil donné aux ours rendait plus périlleuse encore ? Était-il possible de combattre ces animaux en plein air ? Non. C’eût été un acte de folie, qui aurait eu pour conséquence la perte de tous.

Toutefois, la température des chambres était redevenue plus supportable. Ce matin-là, Mrs. Joliffe servit un déjeuner composé de viandes chaudes et de thé. Les grogs brûlants ne furent pas épargnés, et le brave sergent Long put en prendre sa part. Ce feu bienfaisant des poêles, qui relevait la température, ranimait en même temps le moral de ces pauvres gens. Ils n’attendaient plus que les ordres de Jasper Hobson pour attaquer les ours. Mais le lieutenant, ne trouvant pas la partie égale, ne voulut pas risquer son monde. La journée semblait donc devoir s’écouler sans incident, quand, vers trois heures après midi, un grand bruit se fit entendre dans les combles de la maison.

« Les voilà ! » s’écrièrent deux ou trois soldats, s’armant à la hâte de haches et de pistolets.