Page:Verne - Le Pays des fourrures.djvu/228

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
218
le pays des fourrures.

traire. Après avoir prolongé la côte américaine de l’est à l’ouest et à cent milles au plus du littoral, il va, pour ainsi dire, heurter le courant du Kamtchatka, à l’ouvert du détroit, puis, descendant au sud et se rapprochant des rivages de l’Amérique russe, il finit par se briser à travers la mer de Behring sur cette espèce de digue circulaire des îles Aléoutiennes.

Cette carte donnait fort exactement le résumé des observations nautiques les plus récentes. On pouvait donc s’y fier.

Jasper Hobson l’examina attentivement avant de se prononcer. Puis, après avoir passé la main sur son front, comme s’il eût voulu chasser quelque fâcheux pressentiment :

« Il faut espérer, mes amis, dit-il, que la fatalité ne nous entraînera pas jusqu’à ces lointains parages. Notre île errante courrait le risque de n’en plus jamais sortir.

— Et pourquoi, monsieur Hobson ? demanda vivement Mrs. Paulina Barnett.

— Pourquoi, madame ? répondit le lieutenant. Regardez bien cette portion de l’océan Arctique, et vous allez facilement le comprendre. Deux courants, dangereux pour nous, y coulent en sens inverse. Au point où ils se rencontrent, l’île serait forcément immobilisée, et à une grande distance de toute terre. En ce point précis, elle hivernerait pendant la mauvaise saison, et quand la débâcle des glaces se produirait, ou elle suivrait le courant du Kamtchatka jusqu’au milieu des contrées perdues du nord-ouest, ou elle subirait l’influence du courant de Behring et irait s’abîmer dans les profondeurs du Pacifique.

— Cela n’arrivera pas, monsieur le lieutenant, dit Madge avec l’accent d’une foi sincère, Dieu ne le permettra pas.

— Mais, reprit Mrs. Paulina Barnett, je ne puis imaginer sur quelle partie de la mer polaire nous flottons en ce moment, car je ne vois au large du cap Bathurst que ce dangereux courant du Kamtchatka qui porte directement vers le nord-ouest. N’est-il pas à craindre qu’il ne nous ait saisis dans son cours, et que nous ne fassions route vers les terres de la Géorgie septentrionale ?

— Je ne le pense pas, répondit Jasper Hobson, après un moment de réflexion.

— Pourquoi n’en serait-il pas ainsi ?

— Parce que ce courant est rapide, madame, et que depuis trois mois, si nous l’avions suivi, nous aurions quelque côte en vue, — ce qui n’est pas.

— Où supposez-vous que nous nous trouvions alors ? demanda la voyageuse.