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un campement de nuit.

« Mon lieutenant, dit alors le sergent Long du ton le plus sérieux du monde, si, par miracle, une cloche venait à sonner en ce moment, que croyez-vous qu’elle sonnerait ?

— L’heure du souper, sergent, répondit Jasper Hobson. Je pense, madame, que vous êtes de mon avis ?

— Entièrement, répondit la voyageuse, et puisque nous n’avons qu’à nous asseoir pour être attablés, asseyons-nous. Voici un tapis de mousse — un peu usé, il faut bien le dire, — mais que la Providence semble avoir étendu pour nous. »

Le sac aux provisions fut ouvert. De la viande sèche, un pâté de lièvres, tiré de l’officine de Mrs. Joliffe, quelque peu de biscuit, formèrent le menu du souper.

Ce repas terminé un quart d’heure après, Jasper Hobson retourna vers l’angle sud-est de l’île, pendant que Mrs. Paulina Barnett demeurait assise au pied d’un maigre sapin à demi ébranché, et que le sergent Long préparait le campement pour la nuit.

Le lieutenant Hobson voulait examiner la structure du glaçon qui formait l’île, et reconnaître, s’il était possible, son mode de fondation. Une petite berge, produite par un éboulement, lui permit de descendre jusqu’au niveau de la mer, et, de là, il put observer la muraille accore qui formait le littoral.

En cet endroit, le sol s’élevait de trois pieds à peine au-dessus de l’eau. Il se composait, à sa partie supérieure, d’une assez mince couche de terre et de sable, mélangée d’une poussière de coquillages. Sa partie inférieure consistait en une glace compacte, très dure et comme métallisée, qui supportait ainsi l’humus de l’île.

Cette couche de glace ne dépassait que d’un pied seulement le niveau de la mer. On voyait nettement, sur cette coupure nouvellement faite, les stratifications qui divisaient uniformément l’icefield. Ces nappes horizontales semblaient indiquer que les gelées successives qui les avaient faites s’étaient produites dans des eaux relativement tranquilles.

On sait que la congélation s’opère par la partie supérieure des liquides ; puis, si le froid persévère, l’épaisseur de la carapace solide s’accroît en allant de haut en bas. Du moins, il en est ainsi pour les eaux tranquilles. Au contraire, pour les eaux courantes, on a reconnu qu’il se formait des glaces de fond, lesquelles montaient ensuite à la surface.

Mais, pour ce glaçon, base de l’île Victoria, il n’était pas douteux que, sur le rivage du continent américain, il ne se fût constitué en eaux calmes. Sa congélation s’était évidemment faite par sa partie supérieure, et, en bonne logique, on devait nécessairement admettre que le dégel s’opérerait