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le pays des fourrures.

par sa surface inférieure. Le glaçon diminuerait d’épaisseur, quand il serait dissous par des eaux plus chaudes, et alors le niveau général de l’île s’abaisserait d’autant par rapport à la surface de la mer.

C’était là le grand danger.

Jasper Hobson, on vient de le dire, avait observé que la couche solidifiée de l’île, le glaçon proprement dit, ne s’élevait que d’un pied environ au-dessus du niveau de la mer. Or, on sait que tout au plus les quatre cinquièmes d’une glace flottante sont immergés. Un icefield, un iceberg, pour un pied qu’ils ont au-dessus de l’eau, en ont quatre au-dessous. Cependant, il faut dire que, suivant leur mode de formation ou leur origine, la densité, ou, si l’on veut, le poids spécifique des glaces flottantes est variable. Celles qui proviennent de l’eau de mer, poreuses, opaques, teintes de bleu ou de vert, suivant les rayons lumineux qui les traversent, sont plus légères que les glaces formées d’eau douce. Leur surface saillante s’élève donc un peu plus au-dessus du niveau océanique. Or, il était certain que la base de l’île Victoria était un glaçon d’eau de mer. Donc, tout considéré, Jasper Hobson fut amené à conclure, en tenant compte du poids de la couche minérale et végétale qui recouvrait le glaçon, que son épaisseur au-dessous du niveau de la mer devait être de quatre à cinq pieds environ. Quant aux divers reliefs de l’île, aux éminences, aux extumescences du sol, ils n’affectaient évidemment que sa surface terreuse et sableuse, et on devait admettre que, d’une façon générale, l’île errante n’était pas immergée de plus de cinq pieds.

Cette observation rendit Jasper Hobson fort soucieux. Cinq pieds seulement ! Mais, sans compter les causes de dissolution auxquelles cet icefield pouvait être soumis, le moindre choc n’amènerait-il pas une rupture à sa surface ? Une violente agitation des eaux, provoquée par une tempête, par un coup de vent, ne pouvait-elle entraîner la dislocation du champ de glaces, sa rupture en glaçons et bientôt sa décomposition complète ? Ah ! l’hiver, le froid, la colonne mercurielle gelée dans sa cuvette de verre, voilà ce que le lieutenant Hobson appelait de tous ses vœux ! Seul, le terrible froid des contrées polaires, le froid d’un hiver arctique, pourrait consolider, épaissir la base de l’île, en même temps qu’il établirait une voie de communication entre elle et le continent.

Le lieutenant Hobson revint au lieu de halte. Le sergent Long s’occupait d’organiser la couchée, car il n’avait pas l’intention de passer la nuit à la belle étoile, ce à quoi la voyageuse se fût pourtant résignée. Il fit connaître à Jasper Hobson son intention de creuser dans le sol une maison de glace, assez large pour contenir trois personnes, sorte de « snow-house », qui les préserverait fort bien du froid de la nuit.