Page:Verne - Le Pays des fourrures.djvu/260

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
250
le pays des fourrures.

de zèle. On ne manquait de rien, et véritablement, bien que le fort Espérance n’eût pas été ravitaillé par le détachement du capitaine Craventy, on pouvait attendre en toute sécurité les longues heures de la nuit arctique. Seules, les munitions durent être ménagées. Quant aux spiritueux, dont on faisait d’ailleurs une consommation peu importante, et au biscuit, qui ne pouvait être remplacé, il en restait encore une réserve assez considérable. Mais la venaison fraîche et la viande conservée se renouvelaient sans cesse, et cette alimentation, abondante et saine, à laquelle se joignaient quelques plantes antiscorbutiques, maintenait en excellente santé tous les membres de la petite colonie.

D’importantes coupes de bois furent faites dans la futaie qui bordait la côte orientale du lac Barnett. Nombre de bouleaux, de pins et de sapins tombèrent sous la hache de Mac Nap, et ce furent les rennes domestiques qui charrièrent tout ce combustible au magasin. Le charpentier n’épargnait pas la petite forêt, tout en aménageant convenablement ses abatis. Il devait penser, d’ailleurs, que le bois ne manquerait pas sur cette île, qu’il regardait encore comme une presqu’île. En effet, toute la portion du territoire avoisinant le cap Michel était riche en essences diverses.

Aussi, maître Mac Nap s’extasiait-il souvent et félicitait-il son lieutenant d’avoir découvert ce territoire béni du ciel, sur lequel le nouvel établissement ne pouvait que prospérer. Du bois, du gibier, des animaux à fourrures qui s’empilaient d’eux-mêmes dans les magasins de la Compagnie ! Un lagon pour pêcher, et dont les produits variaient agréablement l’ordinaire ! De l’herbe pour les animaux, et « une double paie pour les gens », eût certainement ajouté le caporal Joliffe ! N’était-il pas, ce cap Bathurst, un bout de terre privilégiée, dont on ne trouverait pas l’équivalent sur tout le domaine du continent arctique ? Ah ! certes, le lieutenant Hobson avait eu la main heureuse, et il fallait en remercier la Providence, car ce territoire devait être unique au monde !

Unique au monde ! Honnête Mac Nap ! Il ne savait pas si bien dire, ni quelles angoisses il éveillait dans le cœur de son lieutenant, quand il parlait ainsi !

On pense bien que, dans la petite colonie, la confection des vêtements d’hiver ne fut pas négligée. Mrs. Paulina Barnett et Madge, Mrs. Raë et Mac Nap, et Mrs. Joliffe, quand ses fourneaux lui laissaient quelque répit, travaillaient assidûment. La voyageuse savait qu’il faudrait avant peu quitter le fort, et, en prévision d’un long trajet sur les glaces, quand, en plein hiver, il s’agirait de regagner le continent américain, elle voulait que chacun fût solidement et chaudement vêtu. Ce serait un terrible