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un feu et un cri.

un instant. Ils avaient encore six milles à franchir avant d’atteindre le cap Michel.

« Cela va être un peu dur ! cria le lieutenant Hobson à l’oreille du sergent Long.

— Oui, répondit le sergent, le vent et la pluie vont nous cingler de concert.

— Je crains même que, de temps en temps, il ne s’y joigne un peu de grêle ! ajouta Jasper Hobson.

— Ce sera toujours moins meurtrier que de la mitraille ! répliqua philosophiquement le sergent Long. Or, mon lieutenant, ça vous est arrivé, à vous comme à moi, de passer à travers la mitraille. Passons donc, et en avant !

— En avant, mon brave soldat ! »

Il était dix heures alors. Les dernières lueurs crépusculaires commençaient à s’évanouir ; elles s’effaçaient comme si elles eussent été noyées dans la brume ou éteintes par le vent et la pluie. Cependant, une certaine lumière, très diffuse, se sentait encore. Le lieutenant battit le briquet, consulta sa boussole, en promenant un morceau d’amadou à sa surface, puis, hermétiquement serré dans sa capote, son capuchon ne laissant passage qu’à ses rayons visuels, il s’élança, suivi du sergent, sur cet espace, largement découvert, qu’aucun obstacle ne protégeait plus.

Au premier moment, tous deux furent violemment jetés à terre, mais, se relevant aussitôt, se cramponnant l’un à l’autre, et courbés comme de vieux bonshommes, ils prirent un pas accéléré, moitié trot, moitié amble.

Cette tempête était magnifique dans son horreur ! De grands lambeaux de brumes tout déloquetés, de véritables haillons tissus d’air et d’eau, balayaient le sol. Le sable et la terre volaient comme une mitraille, et au sel qui s’attachait à leurs lèvres, le lieutenant Hobson et son compagnon reconnurent que l’eau de la mer, distante de deux à trois milles au moins, arrivait jusqu’à eux en nappes pulvérisées.

Pendant de certaines accalmies, bien courtes et rares, ils s’arrêtaient et respiraient. Le lieutenant vérifiait alors la direction du mieux qu’il pouvait en estimant la route parcourue, et ils reprenaient leur route.

Mais la tempête s’accroissait encore avec la nuit. Ces deux éléments, l’air et l’eau, semblaient être absolument confondus. Ils formaient dans les basses régions du ciel une de ces redoutables trombes qui renversent les édifices, déracinent les forêts, et que les bâtiments, pour s’en défendre, attaquent à coups de canon. On eût pu croire, en effet, que l’Océan, arraché de son lit, allait passer tout entier par-dessus l’île errante.