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aventures de kalumah.

« Elle vit ! elle vivra ! dit Madge, qui, sous sa main, sentait la chaleur et le mouvement revenir à ce pauvre corps meurtri.

— La malheureuse enfant ! murmurait Mrs. Paulina Barnett, le cœur ému, et mon nom, mon nom ! au moment de mourir, elle l’avait encore sur ses lèvres ! »

Mais alors les yeux de Kalumah s’entr’ouvrirent. Son regard, encore effaré, vague, indécis, apparut entre ses paupières. Soudain, il s’anima, car il s’était reposé sur la voyageuse. Un instant, rien qu’un instant, Kalumah avait vu Mrs. Paulina Barnett, mais cet instant avait suffi. La jeune Indigène avait reconnu « sa bonne dame », dont le nom s’échappa encore une fois de ses lèvres, tandis que sa main, qui s’était peu à peu soulevée, retombait dans la main de Mrs. Paulina Barnett !

Les soins des deux femmes ne tardèrent pas à ranimer entièrement la jeune Esquimaude, dont l’extrême épuisement provenait non seulement de la fatigue, mais aussi de la faim. Ainsi que Mrs. Paulina Barnett l’allait apprendre, Kalumah n’avait rien mangé depuis quarante-huit heures. Quelques morceaux de venaison froide et un peu de brandevin lui rendirent ses forces, et, une heure après, Kalumah se sentait capable de prendre avec ses deux amies le chemin du fort.

Mais, pendant cette heure, assise sur le sable entre Madge et Mrs. Paulina Barnett, Kalumah avait pu leur prodiguer ses remerciements et les témoignages de son affection. Puis elle avait raconté son histoire. Non ! la jeune Esquimaude n’avait point oublié les Européens du fort Espérance, et l’image de Mrs. Paulina Barnett était toujours restée présente à son souvenir. Non ! ce n’était point le hasard, ainsi qu’on va le voir, qui l’avait jetée à demi morte sur le rivage de l’île Victoria !

En peu de mots, voici ce que Kalumah apprit à Mrs. Paulina Barnett.

On se souvient de la promesse qu’avait faite la jeune Esquimaude, à sa première visite, de retourner l’année suivante, pendant la belle saison, vers ses amis du fort Espérance. La longue nuit polaire se passa, et, le mois de mai venu, Kalumah se mit en devoir d’accomplir sa promesse. Elle quitta donc les établissements de la Nouvelle-Georgie, dans lesquels elle avait hiverné, et, en compagnie d’un de ses beaux-frères, elle se dirigea vers la presqu’île Victoria.

Six semaines plus tard, vers la mi-juin, elle arrivait sur les territoires de la Nouvelle-Bretagne, qui avoisinaient le cap Bathurst. Elle reconnut parfaitement les montagnes volcaniques dont les hauteurs couvraient la baie Liverpool, et, vingt milles plus loin, elle arriva à cette baie des Morses dans laquelle elle et les siens avaient si souvent fait la chasse aux amphibies.