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le pays des fourrures.

jeter un pont de six cents milles entre elles et les continents voisins ! Il fallait donc profiter de ces nouvelles chances et rapatrier toute cette colonie perdue dans les régions hyperboréennes.

En effet — ainsi que le lieutenant Hobson l’expliqua à ses amis, — on ne pouvait attendre que le printemps prochain eût amené la débâcle des glaces, c’est-à-dire s’abandonner encore une fois aux caprices des courants de la mer de Behring. Il s’agissait donc uniquement d’attendre que la mer fût suffisamment prise, c’est-à-dire pendant un laps de temps qu’on pouvait évaluer à trois ou quatre semaines. D’ici là, le lieutenant Hobson comptait opérer des reconnaissances fréquentes sur l’icefield qui enserrait l’île, afin de déterminer son état de solidification, les facilités qu’il offrirait au glissage des traîneaux, et la meilleure route qu’il présenterait, soit vers les rivages asiatiques, soit vers le continent américain.

« Il va sans dire, ajouta Jasper Hobson, qui s’entretenait alors de ces choses avec Mrs. Paulina Barnett et le sergent Long, il va sans dire que les terres de la Nouvelle-Georgie, et non les côtes d’Asie, auront toutes nos préférences, et qu’à chances égales, c’est vers l’Amérique russe que nous dirigerons nos pas.

— Kalumah nous sera très utile alors, répondit Mrs. Paulina Barnett, car, en sa qualité d’indigène, elle connaît parfaitement ces territoires de la Nouvelle-Géorgie.

— Très utile, en effet, dit le lieutenant Hobson, et son arrivée jusqu’à nous a véritablement été providentielle. Grâce à elle, il nous sera aisé d’atteindre les établissements du fort Michel dans le golfe de Norton, soit même, beaucoup plus au sud, la ville de New-Arkhangel, où nous achèverons de passer l’hiver.

— Pauvre fort Espérance ! dit Mrs. Paulina Barnett. Construit au prix de tant de fatigues, et si heureusement créé par vous, monsieur Jasper ! Cela me brisera le cœur de l’abandonner sur cette île, au milieu de ces champs de glace, de le laisser peut-être au-delà de l’infranchissable banquise ! Oui ! quand nous partirons, mon cœur saignera, en lui donnant le dernier adieu !

— Je n’en souffrirai pas moins que vous, madame, répondit le lieutenant Hobson, et peut-être plus encore ! C’était l’œuvre la plus importante de ma vie ! J’avais mis toute mon intelligence, toute mon énergie à établir ce fort Espérance, si malheureusement nommé, et je ne me consolerai jamais d’avoir été forcé de l’abandonner ! Puis, que dira la Compagnie, qui m’avait confié cette tâche, et dont je ne suis que l’humble agent, après tout !

— Elle dira, monsieur Jasper, s’écria Mrs. Paulina Barnett avec une