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le pays des fourrures.

malgré elle, à ce départ qui avait été tenté cinq mois auparavant. Elle se représentait tout le personnel de la factorerie, toute cette misérable caravane, perdue dans la nuit, au milieu de ces solitudes glacées, et cherchant, parmi tant d’obstacles et tant de périls, à gagner le continent américain.

Le lieutenant Hobson l’arracha enfin à ses rêveries.

« Madame, lui dit-il, voilà plus de vingt-quatre heures que nous avons quitté le fort. Nous connaissons maintenant quelle est l’épaisseur de la banquise ; et puisque nous avons promis de ne pas prolonger notre absence au-delà de quarante-huit heures, je crois qu’il est temps de revenir sur nos pas. »

Mrs. Paulina Barnett se rendit à cette observation. Le but de l’exploration avait été atteint. La banquise n’offrait qu’une épaisseur médiocre, et elle se dissoudrait assez promptement, sans doute, pour livrer immédiatement passage au bateau de Mac Nap, après la débâcle des glaces. Il ne restait donc plus qu’à revenir, car le temps pouvait changer, et des tourbillons de neige eussent rendu peu praticable la vallée transversale.

On déjeuna, et on repartit vers une heure après midi. À cinq heures, on campait comme la veille dans une hutte de glace, la nuit s’y passait sans accident, et le lendemain, 9 mars, le lieutenant Hobson donnait à huit heures du matin le signal du départ.

Le temps était beau. Le soleil qui se levait dominait déjà la banquise et lançait quelques rayons à travers la vallée. Jasper Hobson et ses compagnons lui tournaient le dos, puisqu’ils marchaient vers l’ouest, mais leurs yeux saisissaient l’éclat des rayons réverbérés par les parois de glace, qui s’entrecroisaient devant eux.

Mrs. Paulina Barnett et Kalumah marchaient un peu en arrière, causant, observant, et suivant les étroits passages indiqués par Sabine et Marbre. On espérait bien avoir retraversé la banquise pour midi, et franchi les trois milles qui la séparaient de l’île Victoria avant une ou deux heures. De cette façon, les excursionnistes seraient de retour au fort avec le coucher du soleil. Ce seraient quelques heures de retard, mais dont leurs compagnons n’auraient pas à s’inquiéter sérieusement.

On comptait sans un incident, que certainement aucune perspicacité humaine ne pouvait prévoir.

Il était dix heures environ, quand Marbre et Sabine, qui marchaient à vingt pas en avant, s’arrêtèrent. Ils semblaient discuter. Le lieutenant, Mrs. Paulina Barnett et la jeune indigène les ayant rejoints, virent que Sabine, tenant sa boussole à la main, la montrait à son compagnon, qui la considérait d’un air étonné.