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au large !

naufragé. Ce fut le dernier dégât produit par la tempête, dégât qui dans une certaine proportion compromettait encore la solidité de l’île, puisqu’il permettait aux flots de la ronger à l’intérieur. C’était comme une sorte de cancer qui devait la détruire peu à peu.

Pendant la journée du 25 mai, le vent sauta au nord-est. La rafale ne fut plus qu’une forte brise, la pluie cessa, et la mer commença à se calmer. La nuit se passa paisiblement, et au matin, le soleil ayant reparu, Jasper Hobson put obtenir un bon relèvement.

Et, en effet, sa position à midi, ce jour-là, lui fut donnée par la hauteur du soleil :

Latitude : 56°,13’ ;

Longitude : 170°,23’.

La vitesse de l’île était donc excessive, puisqu’elle avait dérivé de près de huit cents milles depuis le point qu’elle occupait deux mois auparavant dans le détroit de Behring, au moment de la débâcle.

Cette rapidité de déplacement rendit quelque peu d’espoir à Jasper Hobson.

« Mes amis, dit-il à ses compagnons en leur montrant la carte de la mer de Behring, voyez-vous ces îles Aléoutiennes ? Elles ne sont pas à deux cents milles de nous, maintenant ! En huit jours, peut-être, nous pourrions les atteindre !

— Huit jours ! répondit le sergent Long en secouant la tête. C’est long, huit jours !

— J’ajouterai, dit le lieutenant Hobson, que si notre île eût suivi le cent soixante-huitième méridien, elle aurait déjà gagné le parallèle de ces îles. Mais il est évident qu’elle s’écarte dans le sud-ouest, par une déviation du courant de Behring. »

Cette observation était juste. Le courant tendait à rejeter l’île Victoria fort au large des terres, et peut-être même en dehors des Aléoutiennes, qui ne s’étendent que jusqu’au cent soixante-dixième méridien.

Mrs. Paulina Barnett considérait la carte en silence ! Elle regardait ce point, fait au crayon, qui indiquait la position actuelle de l’île. Sur cette carte, établie à une grande échelle, ce point paraissait presque imperceptible, tant la mer de Behring semblait immense. Elle revoyait alors toute sa route retracée depuis le lieu d’hivernage, cette route que la fatalité ou plutôt l’immutable direction des courants avait dessinée à travers tant d’îles, au large de deux continents, sans toucher nulle part, et devant elle s’ouvrait maintenant l’infini de l’océan Pacifique !

Elle songeait ainsi, perdue dans une sombre rêverie, et n’en sortit que pour dire :