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le pays des fourrures.

la mer n’était pas trop mauvaise, peut-être cet assemblage de poutres et de planches sauverait-il la colonie tout entière.

« Rien, dit Mrs. Paulina Barnett, rien n’est impossible à celui qui dispose des vents et des flots ! »

Jasper Hobson avait fait l’inventaire des vivres. La réserve était peu abondante, car les dégâts produits par l’avalanche l’avaient singulièrement diminuée, mais ruminants et rongeurs ne manquaient pas, et l’île, toute verdoyante de mousses et d’arbustes, les nourrissait sans peine. Il parut nécessaire d’augmenter les provisions de viande conservée, et les chasseurs tuèrent des rennes et des lièvres.

En somme, la santé des colons était bonne. Ils avaient peu souffert de ce dernier hiver, si modéré, et les épreuves morales n’avaient point encore entamé leur vigueur physique. Mais, il faut le dire, ils ne voyaient pas sans une extrême appréhension, sans de sinistres pressentiments, le moment où ils abandonneraient leur île Victoria, ou, pour parler plus exactement, le moment où cette île les abandonnerait eux-mêmes. Ils s’effrayaient à la pensée de flotter à la surface de cette immense mer, sur un plancher de bois qui serait soumis à tous les caprices de la houle. Même par les temps moyens, les lames y embarqueraient et rendraient la situation très pénible. Qu’on le remarque aussi, ces hommes n’étaient point des marins, des habitués de la mer, qui ne craignent pas de se fier à quelques planches, c’étaient des soldats, accoutumés aux solides territoires de la Compagnie. Leur île était fragile, elle ne reposait que sur un mince champ de glace, mais enfin, sur cette glace, il y avait de la terre, et sur cette terre une verdoyante végétation, des arbustes, des arbres ; les animaux l’habitaient avec eux ; elle était absolument indifférente à la houle, et on pouvait la croire immobile. Oui ! ils l’aimaient cette île Victoria, sur laquelle ils vivaient depuis près de deux ans, cette île qu’ils avaient si souvent parcourue en toutes ses parties, qu’ils avaient ensemencée, et qui, en somme, avait résisté jusqu’alors à tant de cataclysmes ! Oui ! ils ne la quitteraient pas sans regret, et ils ne le feraient qu’au moment où elle leur manquerait sous les pieds.

Ces dispositions, le lieutenant Hobson les connaissait, et il les trouvait bien naturelles. Il savait avec quelle répugnance ses compagnons s’embarqueraient sur le radeau, mais les événements allaient se précipiter, et sur ces eaux chaudes, l’île ne pouvait tarder à se dissoudre. En effet, de graves symptômes apparurent, qu’on ne devait pas négliger.

Voici ce qu’était ce radeau. Carré, il mesurait trente pieds sur chaque face, ce qui lui donnait une superficie de neuf cents pieds carrés. Sa plate-forme s’élevait de deux pieds au-dessus de l’eau, et ses parois le défendaient tout