Page:Verne - Le Pays des fourrures.djvu/413

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
403
sur un glaçon

« Ce sera pour aujourd’hui ? lui demanda-t-elle.

— Oui, madame, répondit le lieutenant, et vous tiendrez la promesse que vous avez faite à Kellet !

— Monsieur Jasper, dit gravement la voyageuse, avons-nous fait tout ce que nous devions faire ?

— Oui, madame.

— Eh bien, que la volonté de Dieu s’accomplisse ! »

Cependant, pendant cette journée, une dernière tentative désespérée devait être faite. Une brise assez forte s’était levée et venait du large, c’est-à-dire qu’elle portait vers le sud-est, précisément dans cette direction où se trouvaient les terres les plus rapprochées des Aléoutiennes. À quelle distance ? on ne pouvait le dire, depuis que, faute d’instruments, la situation du glaçon n’avait pu être relevée. Mais il ne devait pas avoir dérivé considérablement, à moins que quelque courant ne l’eût saisi, car il n’offrait aucune prise au vent.

Toutefois, il y avait là un doute. Si, par impossible, ce glaçon eût été plus près de terre que les naufragés ne le supposaient ! Si un courant dont on ne pouvait constater la direction l’avait rapproché de ces Aléoutiennes tant désirées ! Le vent portait alors vers ces îles, et il pouvait rapidement déplacer le glaçon, si on lui donnait prise. Le glaçon n’eût-il plus que quelques heures à flotter, en quelques heures la terre pouvait apparaître peut-être, ou sinon elle, du moins un de ces navires de cabotage ou de pêche qui ne s’élèvent jamais au large.

Une idée, d’abord confuse dans l’esprit du lieutenant Hobson, prit bientôt une étrange fixité. Pourquoi n’établirait-on pas une voile sur ce glaçon comme sur un radeau ordinaire ? Cela était possible, en effet.

Jasper Hobson communiqua son idée au charpentier.

« Vous avez raison, répondit Mac Nap. Toutes voiles dehors. »

Ce projet, quelque peu de chances qu’il eût de réussir, ranima ces infortunés. Pouvait-il en être autrement ? Ne devaient-ils pas se raccrocher à tout ce qui ressemblait à un espoir ?

Tous se mirent à l’œuvre, même Kellet, qui n’avait pas encore rappelé à Mrs. Paulina Barnett sa promesse.

Une poutrelle, formant autrefois le faîte du logement des soldats, fut dressée et fortement enfoncée dans la terre et le sable dont se composait le monticule. Des cordes, disposées comme des haubans et un étai, l’assujettirent solidement. Une vergue, faite d’une forte perche, reçut en guise de voile les draps et couvertures qui garnissaient les dernières couchettes, et fut hissée au haut du mât. La voile, ou plutôt cet assemblage de toiles, convenablement orientée, se gonfla sous une brise maniable, et au