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le pays des fourrures.

épaisse que celle de l’élan proprement dit, forme un cuir très estimé. En frottant cette peau avec la graisse et la cervelle même de l’animal, on la rend extrêmement souple, et elle supporte également bien la sécheresse et l’humidité. Aussi les Indiens recherchent-ils avec soin toutes les occasions de se procurer des peaux de wapitis.

— Mais leur chair ne donne-t-elle pas une venaison excellente ?

— Médiocre, madame, répondit le lieutenant, fort médiocre, en vérité. Cette chair est dure, d’un goût peu savoureux. Sa graisse se fige immédiatement dès qu’elle est retirée du feu et s’attache aux dents. C’est donc une chair peu estimée, et qui est certainement inférieure à celle des autres daims. Cependant, faute de mieux, pendant les jours de disette, on en mange, et elle nourrit son homme tout comme un autre. »

Mrs. Paulina Barnett et Jasper Hobson s’entretenaient ainsi depuis quelques minutes, lorsque la lutte des wapitis se modifia subitement. Ces ruminants avaient-ils satisfait leur colère ? Avaient-ils aperçu les chasseurs et sentaient-ils un danger prochain ? Quoi qu’il en fût, au même moment, à l’exception de deux wapitis de haute taille, toute la troupe s’enfuit vers l’est avec une vitesse sans égale. En quelques instants, ces animaux avaient disparu, et le cheval le plus rapide n’aurait pu les rejoindre.

Mais deux daims, superbes à voir, étaient restés sur le champ de bataille. Le crâne baissé, cornes contre cornes, les jambes de l’arrière-train puissamment arc-boutées, ils se faisaient tête. Semblables à deux lutteurs qui n’abandonnent plus prise dès qu’ils sont parvenus à se saisir, ils ne se lâchaient pas et pivotaient sur leurs jambes de devant, comme s’ils eussent été rivés l’un à l’autre.

« Quel acharnement ! s’écria Mrs. Paulina Barnett.

— Oui, répondit Jasper Hobson. Ce sont des bêtes rancunières que ces wapitis, et elles vident là, sans doute, une ancienne querelle !

— Mais ne serait-ce pas le moment de les approcher, tandis que la rage les aveugle ? demanda la voyageuse.

— Nous avons le temps, madame, répondit Sabine, et ces daims-là ne peuvent plus nous échapper ! Nous serions à trois pas d’eux, le fusil à l’épaule et le doigt sur la gâchette, qu’ils ne quitteraient pas la place !

— Vraiment ?

— En effet, madame, dit Jasper Hobson, qui avait regardé plus attentivement les deux combattants après l’observation du chasseur, et, soit de notre main, soit par la dent des loups, ces wapitis mourront tôt ou tard à l’endroit même qu’ils occupent en ce moment.

— Je ne comprends pas ce qui vous fait parler ainsi, monsieur Hobson, répondit Mrs. Paulina Barnett.