Page:Verne - Le Pays des fourrures.djvu/87

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
77
un retour sur le passé.

permine, aux eaux pures et rapides, alors dégagée de glaces, coulait à pleins bords dans une large vallée, arrosée par un grand nombre de rios capricieux, mais facilement guéables. Le tirage des traîneaux s’opéra donc assez rapidement. Pendant que leur attelage les entraînait, Jasper Hobson racontait à sa compagne l’histoire de ce pays qu’ils traversaient. Une véritable intimité, une sincère amitié, autorisée par leur situation et leur âge, existait entre le lieutenant Hobson et la voyageuse. Mrs. Paulina Barnett aimait à s’instruire, et, ayant l’instinct des découvertes, elle aimait à entendre parler des découvreurs.

Jasper Hobson, qui connaissait « par cœur » son Amérique septentrionale, put complètement satisfaire la curiosité de sa compagne.

« Il y a quatre-vingt-dix ans environ, lui dit-il, tout ce territoire traversé par la rivière Coppermine était inconnu, et c’est aux agents de la Compagnie de la baie d’Hudson que l’on doit sa découverte. Seulement, madame, ainsi que cela arrive presque toujours dans le domaine scientifique, c’est en cherchant une chose qu’on en découvre une autre. Colomb cherchait l’Asie, et il trouva l’Amérique.

— Et que cherchaient donc les agents de la Compagnie ? demanda Mrs. Paulina Barnett. Était-ce ce fameux passage du Nord-Ouest ?

— Non, madame, répondit le jeune lieutenant, non. Il y a un siècle, la Compagnie n’avait point intérêt à ce que l’on employât cette nouvelle voie de communication, qui eût été plus profitable à ses concurrents qu’à elle-même. On prétend même qu’en 1741, un certain Christophe Middleton, chargé d’explorer ces parages, fut publiquement accusé d’avoir reçu cinq mille livres de la Compagnie pour déclarer que la communication par mer entre les deux océans n’existait pas et ne pouvait exister.

— Ceci n’est point à la gloire de la célèbre Compagnie, répondit Mrs. Paulina Barnett.

— Je ne la défends pas sur ce point, reprit Jasper Hobson. J’ajouterai même que le parlement blâma sévèrement ses agissements, quand, en 1746, il promit une prime de vingt mille livres à quiconque découvrirait le passage en question. Aussi vit-on, en cette année même, deux intrépides voyageurs, William Moor et Francis Smith, s’élever jusqu’à la baie Repulse, dans l’espoir de reconnaître la communication tant désirée. Toutefois, ils ne réussirent pas dans leur entreprise, et, après une absence qui dura un an et demi, ils durent revenir en Angleterre.

— Mais d’autres capitaines, audacieux et convaincus, ne s’élancèrent-ils pas aussitôt sur leurs traces ? demanda Mrs. Paulina Barnett.