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LE SUPERBE ORÉNOQUE.

race, j’estime à un million le nombre des tortues qui fréquentent les sables de la Manteca, précisément sur cette partie de l’Orénoque. »

Les calculs de M. Miguel n’étaient point entachés d’exagération. Ce sont réellement des myriades de ces animaux que rassemble une sorte d’attraction mystérieuse, a dit E. Reclus, — mascaret vivant, lent et irrésistible, qui renverserait tout comme une inondation ou une avalanche.

Il est vrai, l’homme en détruit de trop grandes quantités, et l’espèce pourrait bien disparaître un jour. Certaines battures sont déjà abandonnées, au grand dommage des Indiens, et entre autres les plages de Cariben, situées au-dessous des bouches du Meta.

L’Indien donna alors quelques détails intéressants sur les habitudes de ces tortues, lorsque l’époque de la ponte est arrivée. On les voit sillonner ces vastes espaces sablonneux, y creuser des trous profonds de deux pieds environ où sont déposés les œufs, — cela durant une vingtaine de jours à partir de la mi-mars, — puis recouvrir soigneusement de sable le trou où ces œufs ne tarderont pas à éclore.

En outre, sans parler du rendement de l’huile, les indigènes cherchent à s’emparer de ces tortues pour l’alimentation, car leur chair est très estimée. Les atteindre sous les eaux est presque impossible. Quant à les prendre sur les bancs de sable, lorsqu’elles les parcourent isolément, cela se fait simplement au moyen de bâtons qui permettent de les retourner sur le dos, — posture des plus critiques pour un chélonien, lequel ne saurait se replacer tout seul sur ses pattes.

« Il y a des gens comme cela, fit observer M. Varinas. Lorsque, par malheur, ils sont tombés à la renverse, ils ne peuvent plus se relever. »

Juste remarque qui termina d’une façon assez inattendue cette discussion sur les chéloniens de l’Orénoque.

C’est alors que M. Miguel, s’adressant à l’Indien, lui posa cette question :