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UN NUAGE DE POUSSIÈRE À L'HORIZON.

C’était là une explication très naturelle, et même la seule admissible. La sierra Matapey et ses environs avaient dû être profondément bouleversés par ce tremblement de terre. Déjà, en ces conditions, pareil envahissement s’était produit en dehors des mois de mars et d’avril où il s’opère d’une façon régulière, et il n’y avait pas lieu, pour des riverains du fleuve, d’en être autrement surpris. Toutefois, dans une certaine mesure, ils pouvaient s’en montrer inquiets.

Et maintenant, l’exode des tortues une fois admis, d’où provenaient ces coups de feu ?… Qui donc avait à se défendre contre ces chéloniens ?… Et, d’ailleurs, que feraient des balles contre leurs impénétrables carapaces ?…

On le reconnut bientôt à travers les déchirures de l’épais nuage.

En effet, les myriades de tortues s’avançaient en masse compacte, serrées les unes contre les autres. C’était comme une immense surface d’écailles, couvrant plusieurs kilomètres carrés, qui se déplaçait.

Or, sur cette surface mouvante, s’agitaient nombre d’animaux, lesquels, pour éviter d’être écrasés, avaient dû y chercher refuge. Là, surpris par cette invasion à travers les llanos, courait et gambadait une troupe de singes hurleurs, qui semblaient « la trouver drôle », pour employer une locution du sergent Martial. Puis, on apercevait aussi plusieurs couples de ces fauves, habitués des vastes campagnes vénézuéliennes, des jaguars, des pumas, des tigres, des ocelots, non moins redoutables que s’ils eussent librement couru la forêt ou la plaine.

Et c’était contre ces bandes que se défendaient deux hommes, à coups de fusil et de revolver.

Déjà quelques cadavres gisaient sur le dos des carapaces, dont le mouvement ondulatoire ne pouvait que gêner des êtres humains qui ne pouvaient y assurer leur pied, alors que les quadrupèdes et les singes n’y prenaient garde.

Quels étaient ces deux hommes ?… Ni M. Marchal ni le chef civil