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kin-fo, ses deux acolytes et son valet.

de l’épigraphie, dont le musée, appelé « la forêt des tablettes », renferme d’incalculables richesses, pourquoi Wang serait-il venu là ?

Aussi, le lendemain de son arrivée, Kin-Fo, abandonnant cette ville, qui est un important centre d’affaires entre l’Asie centrale, le Tibet, la Mongolie et la Chine, reprit-il la route du nord.

À suivre par Kao-Lin-Sien, par Sing-Tong-Sien, la route de la vallée de l’Ouei-Ro, aux eaux chargées des teintes jaunes de ce lœss à travers lequel il s’est frayé son lit, la petite troupe arriva à Roua-Tchéou, qui fut le foyer d’une terrible insurrection musulmane en 1860. De là, tantôt en barque, tantôt en charrette, Kin-Fo et ses compagnons atteignirent, non sans grandes fatigues, cette forteresse de Tong-Kouan, située au confluent de l’Ouei-Ro et du Rouang-Ro.

Le Rouang-Ro, c’est le fameux fleuve Jaune. Il descend directement du nord pour aller, à travers les provinces de l’Est, se jeter dans la mer qui porte son nom, sans être plus jaune que la mer Rouge n’est rouge, que la mer Blanche n’est blanche, que la mer Noire n’est noire. Oui ! fleuve célèbre, d’origine céleste sans doute, puisque sa couleur est celle des empereurs, Fils du Ciel, mais aussi « Chagrin de la Chine », qualification due à ses terribles débordements, qui ont causé en partie l’impraticabilité actuelle du canal Impérial.

À Tong-Kouan, les voyageurs eussent été en sûreté, même la nuit. Ce n’est plus une cité de commerce, c’est une ville militaire, habitée en domicile fixe et non en camp volant par ces Tartares Mantchoux, qui forment la première catégorie de l’armée chinoise ! Peut-être Kin-Fo avait-il l’intention de s’y reposer quelques jours. Peut-être allait-il chercher dans un hôtel convenable une bonne chambre, une bonne table, un bon lit, — ce qui n’eût point déplu à Fry-Craig et encore moins à Soun !

Mais ce maladroit, auquel il en coûta cette fois un bon pouce de sa queue, eut l’imprudence de donner en douane, au lieu du nom d’emprunt, le véritable nom de son maître. Il oublia que ce n’était plus Kin-Fo, mais Ki-Nan, qu’il avait l’honneur de servir. Quelle colère ! Elle amena ce dernier à quitter immédiatement la ville. Le nom avait produit son effet. Le célèbre Kin-Fo était arrivé à Tong-Kouan ! On voulait voir cet homme unique, « dont le seul et unique désir était de devenir centenaire » !

L’horripilé voyageur, suivi de ses deux gardes et de son valet, n’eut que le temps de prendre la fuite à travers le rassemblement des curieux qui s’était