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les tribulations d’un chinois en chine

lument dans la petite bourgade de Fou-Ning. De chevaux ou de mulets, pas davantage. Mais il y avait un certain nombre de ces chameaux qui servent au commerce des Mongols. Ces aventureux trafiquants s’en vont par caravanes sur la route de Péking à Kiatcha, poussant leurs innombrables troupeaux de moutons à large queue. Ils établissent ainsi des communications entre la Russie asiatique et le Céleste Empire. Toutefois, ils ne se hasardent à travers ces longues steppes qu’en troupes nombreuses et bien armées. « Ce sont des gens farouches et fiers, dit M. de Beauvoir, et pour lesquels le Chinois n’est qu’un objet de mépris. »

Cinq chameaux, avec leur harnachement très rudimentaire, furent achetés. On les chargea de provisions, on fit acquisition d’armes, et l’on partit sous la direction du guide.

Mais ces préparatifs avaient exigé quelque temps. Le départ ne put s’effectuer qu’à une heure de l’après-midi. Malgré ce retard, le guide se faisait fort d’arriver, avant minuit, au pied de la Grande-Muraille. Là, il organiserait un campement, et le lendemain, si Kin-Fo persévérait dans son imprudente résolution, on passerait la frontière.

Le pays, aux environs de Fou-Ning, était accidenté. Des nuages de sable jaune se déroulaient en épaisses volutes au-dessus des routes, qui s’allongeaient entre les champs cultivés. On sentait encore là le productif territoire du Céleste Empire.

Les chameaux marchaient d’un pas mesuré, peu rapide, mais constant. Le guide précédait Kin-Fo, Soun, Craig et Fry, juchés entre les deux bosses de leur monture. Soun approuvait fort cette façon de voyager, et, dans ces conditions, il serait allé au bout du monde.

Si la route n’était pas fatigante, la chaleur était grande. À travers les couches atmosphériques très échauffées par la réverbération du sol, se produisaient les plus curieux effets de mirage. De vastes plaines liquides, grandes comme une mer, apparaissaient à l’horizon et s’évanouissaient bientôt, à l’extrême satisfaction de Soun, qui se croyait encore menacé de quelque navigation nouvelle.

Bien que cette province fût située aux limites extrêmes de la Chine, il ne faudrait pas croire qu’elle fût déserte. Le Céleste Empire, quelque vaste qu’il soit, est encore trop petit pour la population qui se presse à sa surface. Aussi les habitants sont-ils nombreux, même sur la lisière du désert asiatique.