Page:Verne - Les Tribulations d’un Chinois en Chine.djvu/214

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
198
les tribulations d’un chinois en chine

de la route, le bruit des chevaux, le fracas des armes de son escorte ne lui laissèrent aucun doute. On l’entraînait au loin. Où ? Il eût vainement tenté de l’apprendre.

Sept à huit heures après son enlèvement, Kin-Fo sentit que la chaise s’arrêtait, qu’on soulevait à bras d’hommes la caisse dans laquelle il était enfermé, et bientôt un déplacement moins rude succéda aux secousses d’une route de terre.

« Suis-je donc sur un navire ? » se dit-il.

Des mouvements très accusés de roulis et de tangage, un frémissement d’hélice le confirmèrent dans cette idée qu’il était sur un steamer.

« La mort dans les flots ! pensa-t-il. Soit ! Ils m’épargnent des tortures qui seraient pires ! Merci, Lao-Shen ! »

Cependant deux fois vingt-quatre heures s’écoulèrent encore. À deux reprises, chaque jour, un peu de nourriture était introduite dans sa cage par une petite trappe à coulisse, sans que le prisonnier pût voir quelle main la lui apportait, sans qu’aucune réponse fût faite à ses demandes.

Ah ! Kin-Fo, avant de quitter cette existence que le ciel lui faisait si belle, avait cherché des émotions ! Il n’avait pas voulu que son cœur cessât de battre, sans avoir au moins une fois palpité ! Eh bien, ses vœux étaient satisfaits et au-delà de ce qu’il aurait pu souhaiter !

Cependant, s’il avait fait le sacrifice de sa vie, Kin-Fo aurait voulu mourir en pleine lumière. La pensée que cette cage serait d’un instant à l’autre précipitée dans les flots, lui était horrible. Mourir, sans avoir revu le jour une dernière fois, ni la pauvre Lé-ou, dont le souvenir l’emplissait tout entier, c’en était trop.

Enfin, après un laps de temps qu’il n’avait pu évaluer, il lui sembla que cette longue navigation venait de cesser tout à coup. Les trépidations de l’hélice cessèrent. Le navire qui portait sa prison s’arrêtait. Kin-Fo sentit que sa cage était de nouveau soulevée.

Pour cette fois, c’était bien le moment suprême, et le condamné n’avait plus qu’à demander pardon des erreurs de sa vie.

Quelques minutes s’écoulèrent, — des années, des siècles !

À son grand étonnement, Kin-Fo put constater d’abord que la cage reposait de nouveau sur un terrain solide.

Soudain, sa prison s’ouvrit. Des bras le saisirent, un large bandeau lui fut immédiatement appliqué sur les yeux, et il se sentit brusquement attiré au