Page:Verne - Les Tribulations d’un Chinois en Chine.djvu/44

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
34
les tribulations d’un chinois en chine

Quelques milliers de dollars de plus ou de moins n’étaient vraiment pas pour l’émouvoir !

Toutefois, quelques minutes après, Kin-Fo reprit la lettre et en déchira machinalement l’enveloppe ; mais, au lieu de la lire, ses yeux n’en cherchèrent d’abord que la signature.

« C’est bien une lettre de mon correspondant, dit-il. Il ne peut que me parler d’affaires ! À demain, les affaires ! »

Et, une seconde fois, Kin-Fo allait rejeter la lettre, lorsque son regard fut tout à coup frappé par un mot souligné plusieurs fois au recto de la deuxième page. C’était le mot « passif », sur lequel le correspondant de San-Francisco avait évidemment voulu attirer l’attention de son client de Shang-Haï.

Kin-Fo reprit alors la lettre à son début, et la lut de la première à la dernière ligne, non sans un certain sentiment de curiosité, qui devait surprendre de sa part.

Un instant, ses sourcils se froncèrent ; mais une sorte de dédaigneux sourire se dessina sur ses lèvres, lorsqu’il eut achevé sa lecture.

Kin-Fo se leva alors, fit une vingtaine de pas dans sa chambre, s’approcha un instant du tuyau acoustique qui le mettait en communication directe avec Wang. Il porta même le cornet à sa bouche, et fut sur le point de faire résonner le sifflet d’appel ; mais il se ravisa, laissa retomber le serpent de caoutchouc, et revint s’étendre sur le divan.

« Peuh ! » fit-il.

Tout Kin-Fo était dans ce mot.

« Et elle ! murmura-t-il. Elle est vraiment plus intéressée que moi dans tout cela ! »

Il s’approcha alors d’une petite table de laque, sur laquelle était posée une boîte oblongue, précieusement ciselée. Mais, au moment de l’ouvrir, sa main s’arrêta.

« Que me disait sa dernière lettre ? » murmura-t-il.

Et, au lieu de lever le couvercle de la boîte, il poussa un ressort, fixé à l’une des extrémités.

Aussitôt, une voix douce de se faire entendre !

« Mon petit frère aîné ! Ne suis-je plus pour vous comme la fleur Mei-houa à la première lune, comme la fleur de l’abricotier à la deuxième, comme la fleur du pêcher à la troisième ! Mon cher cœur de pierre précieuse, à vous mille, à vous dix mille bonjours !… »