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us et coutumes du céleste empire.

années avec un soin pieux. En somme, le respect pour les morts fait le fond de la religion chinoise, et contribue à rendre plus étroits les liens de la famille.

Donc, Kin-Fo, plus que tout autre, grâce à son tempérament, devait envisager avec une parfaite tranquillité la pensée de mettre fin à ses jours. Il avait assuré le sort des deux êtres auxquels revenait son affection. Que pouvait-il regretter maintenant ! Rien. Le suicide ne devait pas même lui causer un remords. Ce qui est un crime dans les pays civilisés d’Occident, n’est plus qu’un acte légitime, pour ainsi dire, au milieu de cette civilisation bizarre de l’Asie orientale.

Le parti de Kin-Fo était donc bien pris, et aucune influence n’aurait pu le détourner de mettre son projet à exécution, pas même l’influence du philosophe Wang.

Au surplus, celui-ci ignorait absolument les desseins de son élève. Soun n’en savait pas davantage et n’avait remarqué qu’une chose, c’est que, depuis son retour, Kin-Fo se montrait plus endurant pour ses sottises quotidiennes.

Décidément, Soun revenait sur son compte, il n’aurait pu trouver un meilleur maître, et, maintenant, sa précieuse queue frétillait sur son dos dans une sécurité toute nouvelle.

Un dicton chinois dit :

« Pour être heureux sur terre, il faut vivre à Canton et mourir à Liao-Tchéou. »

C’est à Canton, en effet, que l’on trouve toutes les opulences de la vie, et c’est à Liao-Tchéou que se fabriquent les meilleurs cercueils.

Kin-Fo ne pouvait manquer de faire sa commande dans la bonne maison, de manière que son dernier lit de repos arrivât à temps. Être correctement couché pour le suprême sommeil est la constante préoccupation de tout Célestial qui sait vivre.

En même temps, Kin-Fo fit acheter un coq blanc, dont la propriété, comme on sait, est de s’incarner les esprits qui voltigent et saisiraient au passage un des sept éléments dont se compose une âme chinoise.

On voit que si l’élève du philosophe Wang se montrait indifférent aux détails de la vie, il l’était moins pour ceux de la mort.

Cela fait, il n’avait plus qu’à rédiger le programme de ses funérailles. Donc, ce jour même, une belle feuille de ce papier, dit papier de riz — à la confec-