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us et coutumes du céleste empire.

Kin-Fo, après avoir fait une lieue environ dans la campagne, revint sur ses pas, afin de regagner les rives du Houang-Pou.

Les deux limiers rebroussèrent aussitôt chemin.

Kin-Fo, en revenant, rencontra deux ou trois mendiants du plus misérable aspect, et leur fit l’aumône.

Plus loin, quelques Chinoises chrétiennes — de celles qui ont été formées à ce métier de dévouement par les sœurs de charité françaises — croisèrent la route. Elles allaient, une hotte sur le dos, et dans ces hottes rapportaient à la maison des crèches, de pauvres êtres abandonnés. On les a justement nommées « les chiffonnières d’enfants » ! Et ces petits malheureux sont-ils autre chose que des chiffons jetés au coin des bornes !

Kin-Fo vida sa bourse dans la main de ces charitables sœurs.

Les deux étrangers parurent assez surpris de cet acte de la part d’un Célestial.

Le soir était venu. Kin-Fo, de retour aux murs de Shang-Haï, reprit la route du quai.

La population flottante ne dormait pas encore. Cris et chants éclataient de toutes parts.

Kin-Fo écouta. Il lui plaisait de savoir quelles seraient les dernières paroles qu’il lui serait donné d’entendre.

Une jeune Tankadère, conduisant son sampan à travers les sombres eaux de Houang-Pou, chantait ainsi :

Ma barque, aux fraîches couleurs,
Est parée
De mille et dix mille fleurs.
Je l’attends, l’âme enivrée !
Il doit revenir demain.
Dieu bleu veille ! Que ta main
À son retour le protège,
Et fais que son long chemin
S’abrège !


« Il reviendra demain ! Et moi, où serais-je, demain ? » pensa Kin-Fo en secouant la tête.

La jeune Tankadère reprit :

Il est allé loin de nous,
J’imagine,
Jusqu’au pays des Mantchoux,
Jusqu’aux murailles de Chine !