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conclusion qui ne surprendra pas le lecteur.

Kin-Fo ne quitta pas sa chambre de toute la journée… Le philosophe ne parut pas.

Kin-Fo se coucha ; mais, le lendemain, il dut se relever aussi vivant qu’un homme bien constitué peut l’être.

Tant d’émotions en pure perte ! Cela devenait agaçant.

Et dix jours s’étaient écoulés déjà ! Il est vrai que Wang avait deux mois pour s’exécuter.

« Décidément, c’est un flâneur ! se dit Kin-Fo, je lui ai donné deux fois trop de temps ! »

Et il pensait que l’ancien Taï-ping s’était quelque peu amolli dans les délices de Shang-Haï.

À partir de ce jour, cependant, Wang parut plus soucieux, plus agité. Il allait et venait dans le yamen, comme un homme qui ne peut tenir en place. Kin-Fo observa même que le philosophe faisait des visites réitérées au salon des ancêtres, où se trouvait le précieux cercueil, venu de Liao-Tchéou. Il apprit aussi de Soun, et non sans intérêt, que Wang avait recommandé de brosser, frotter, épousseter le meuble en question, en un mot, de le tenir en état.

« Comme mon maître sera bien couché là-dedans ! ajouta même le fidèle domestique. C’est à vous donner envie d’en essayer ! »

Observation qui valut à Soun un petit signe d’amitié.

Les 13, 14 et 15 mai se passèrent.

Rien de nouveau.

Wang comptait-il donc épuiser le délai convenu, et ne payer sa dette qu’à la façon d’un commerçant, à l’échéance, sans anticiper ? Mais alors, il n’y aurait plus de surprise, et partant plus d’émotion !

Cependant, un fait très significatif vint à la connaissance de Kin-Fo dans la matinée du 15 mai, au moment du « mao-che », c’est-à-dire vers six heures du matin.

La nuit avait été mauvaise. Kin-Fo, à son réveil, était encore sous l’impression d’un déplorable songe. Le prince Ien, le souverain juge de l’enfer chinois, venait de le condamner à ne comparaître devant lui que lorsque la douze centième lune se lèverait sur l’horizon du Céleste Empire. Un siècle à vivre encore, tout un siècle !

Kin-Fo était donc de fort mauvaise humeur, car il semblait que tout conspirât contre lui.