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kin-fo devient célèbre.

advint que ces avis, reproduits à profusion sous la forme familière aux Américains : WANG ! WANG ! ! WANG ! ! ! d’une part, KIN-FO ! KIN-FO ! ! KIN-FO ! ! ! de l’autre, finirent par attirer l’attention publique et provoquèrent l’hilarité générale.

On en rit jusqu’au fond des provinces les plus reculées du Céleste Empire.

« Où est Wang ?

— Qui a vu Wang ?

— Où demeure Wang ?

— Que fait Wang ?

— Wang ! Wang ! Wang ! » criaient les petits Chinois dans les rues.

Ces questions furent bientôt dans toutes les bouches.

Et Kin-Fo, ce digne Célestial, « dont le vif désir était de devenir centenaire », qui prétendait lutter de longévité avec ce célèbre éléphant, dont le vingtième lustre s’accomplissait alors au Palais des Écuries de Péking, ne pouvait tarder à être tout à fait à la mode.

« Eh bien, le sieur Kin-Fo avance-t-il en âge ?

— Comment se porte-t-il ?

— Digère-t-il convenablement ?

— Le verra-t-on revêtir la robe jaune des vieillards ?[1] »

Ainsi, par des paroles gouailleuses, s’abordaient les mandarins civils ou militaires, les négociants à la Bourse, les marchands dans leurs comptoirs, les gens du peuple au milieu des rues et des places, les bateliers sur leurs villes flottantes !

Ils sont très gais, très caustiques, les Chinois, et l’on conviendra qu’il y avait matière à quelque gaieté. De là des plaisanteries de tout genre, et même des caricatures qui débordaient le mur de la vie privée.

Kin-Fo, à son grand déplaisir, dut supporter les inconvénients de cette célébrité singulière. On alla jusqu’à le chansonner sur l’air de « Mantchiang-houng », le vent qui souffle dans les saules. Il parut une complainte, qui le mettait plaisamment en scène : Les Cinq Veilles du Centenaire ! Quel titre alléchant, et quel débit il s’en fit à trois sapèques l’exemplaire !

Si Kin-Fo se dépitait de tout ce bruit fait autour de son nom, William

  1. Tout Chinois qui atteint sa quatre-vingtième année a le droit de porter une robe jaune. Le jaune est la couleur de la famille impériale, et c’est un honneur rendu à la vieillesse.