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à bord de l’épouvante

sait l’espace. Les rives du lac n’apparaissaient pas encore, ni du côté canadien, ni du côté américain.

Décidément, est-ce que le capitaine tenait à ne point se montrer à moi ?… Avait-il quelque raison de ne pas se faire connaître ?… Une telle précaution indiquait-elle qu’il eût l’intention de me mettre en liberté, le soir venu, lorsque l’Épouvante aurait atteint le littoral ?… Cela me semblait plus improbable !

Or, vers les deux heures de l’après-midi, un léger bruit se produisit, le panneau central se souleva, et le personnage si impatiemment attendu parut sur le pont.

Je dois le dire, il ne me prêta pas plus attention que ne l’avaient fait ses hommes, et, allant vers le timonier, il prit sa place à l’arrière. Celui-ci, après quelques mots prononcés à voix basse, descendit dans la chambre des machines.

Le capitaine, ayant promené son regard sur l’horizon, et consulté la boussole, posée devant la barre, modifia légèrement la direction, et la vitesse de l’Épouvante s’accrut.

Cet homme devait avoir dépassé de quelques années la cinquantaine, taille moyenne, épaules larges, très droit encore, tête forte, cheveux courts plutôt gris que blancs, ni moustaches ni favoris, une épaisse barbiche à l’américaine, bras et jambes musculeux, mâchoire aux masséters puissants, poitrine large, et, signe caractéristique de grande énergie, le muscle sourcilier en contraction permanente. Assurément, il possédait une constitution de fer, une santé à toute épreuve, un sang aux globules ardents sous le hâle de sa peau.

De même que ses compagnons, le capitaine était vêtu d’habits de mer, que recouvrait une capote cirée, et un béret de laine lui tenait lieu de coiffure.

Je le regardais. S’il ne cherchait point à éviter mes regards, du moins montrait-il une singulière indifférence, comme s’il n’avait pas un étranger à son bord.