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au nom de la loi ! …

croisés, il me regardait, et je fus effrayé de son regard. Effrayé ! c’est le mot !… Ce n’était pas celui d’un homme possédant toute sa raison, un regard qui semblait n’avoir plus rien d’humain !

Ma question fut répétée d’une voix plus impérieuse. Un instant, je crus que Robur allait sortir de son mutisme.

« Que voulez-vous faire de moi ?… Me rendrez-vous la liberté ? »…

Évidemment, Robur était en proie à quelque obsession qui ne le quittait plus. Ce geste, que j’avais déjà observé lorsqu’il parcourait l’enceinte, ce geste, il le fit encore de son bras tendu vers le zénith… Il semblait qu’une irrésistible force l’attirait vers les hautes zones du ciel, qu’il n’appartenait plus à la terre, qu’il était destiné à vivre dans l’espace, hôte perpétuel des couches atmosphériques ?…

Sans m’avoir répondu, sans même avoir paru m’entendre, Robur rentra dans la grotte où le rejoignit Turner.

Combien de temps durerait ce séjour, ou plutôt cette relâche de l’Épouvante au Great-Eyry ?… Je l’ignorais. J’observai, pourtant, que l’après-midi de ce 3 août les travaux de réparation et d’appropriation avaient pris fin. Les soutes de l’appareil étaient remplies des provisions emmagasinées à l’intérieur de l’enceinte. Alors Turner et son compagnon apportèrent au centre du cirque tout ce qui restait de matériel, caisses vides, débris de charpente, pièces de bois qui provenaient sans doute de l’ancien Albatros sacrifié au nouvel engin de locomotion. Sous cet amas s’étendait une épaisse couche d’herbes sèches. La pensée me vint donc que Robur se préparait à quitter cette retraite sans esprit de retour.

Et, en effet, il n’ignorait pas que l’attention publique avait été attirée sur le Great-Eyry, qu’une tentative venait d’être faite pour y pénétrer… N’avait-il pas à craindre qu’elle fût renouvelée un jour ou l’autre avec plus de succès, que l’on finît par envahir