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maître du monde

fut parmi les tourbillons de la tempête que le porta son vol insensé.

L’aviateur filait entre mille éclairs, au milieu des fracas du tonnerre, en plein ciel embrasé. Il évoluait à travers ces coruscations aveuglantes, au risque d’être foudroyé !

Robur n’avait rien changé à son attitude. La barre d’une main, la manette du régulateur de l’autre, les ailes battant à se rompre, il poussait l’appareil au plus fort de l’orage, là où les décharges électriques s’échangeaient le plus violemment d’un nuage à l’autre.

Il aurait fallu se précipiter sur ce fou, l’empêcher de jeter l’aviateur au cœur de cette fournaise aérienne !… Il aurait fallu l’obliger à redescendre, à chercher sous les eaux un salut qui n’était plus possible ni à la surface de la mer ni au sein des hautes zones atmosphériques !… Là, il pourrait attendre en toute sécurité que cette effroyable lutte des éléments eût pris fin !…

Alors, tous mes instincts, toute ma passion du devoir de s’exaspérer en moi !… Oui ! c’était pure folie, mais ne pas arrêter ce malfaiteur que mon pays avait mis hors la loi, qui menaçait le monde entier avec sa terrible invention, ne pas lui mettre la main au collet, ne pas le livrer à la justice !… Étais-je ou n’étais-je pas Strock, inspecteur principal de la police ?… Et, oubliant où je me trouvais, seul contre trois, au-dessus d’un Océan démonté, je bondis vers l’arrière, et, d’une voix qui domina le fracas de l’orage, je criai en me précipitant sur Robur :

« Au nom de la loi, je… »

Soudain, l’Épouvante trembla comme frappée d’une violente secousse électrique. Toute sa charpente tressaillit ainsi que tressaille la charpente humaine sous les décharges du fluide. L’appareil, atteint au milieu de son armature, se disloqua de toutes parts.