Page:Verne - Nord contre sud, Hetzel, 1887.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
4
nord contre sud.

irrités qui s’échangeaient, à la démarcation établie entre les deux groupes, à quelques paroles malsonnantes dont le sens provocateur semblait n’échapper à personne.

Cependant de longs sifflets venaient de percer l’air en amont du fleuve. Bientôt le Shannon apparut au détour d’un coude de la rive droite, un demi-mille au-dessus de Picolata. D’épaisses volutes, s’échappant de ses deux cheminées, couronnaient les grands arbres que le vent de mer agitait sur la rive opposée. Sa masse mouvante grossissait rapidement. La marée venait de renverser. Le courant de flot, qui avait retardé sa descente depuis trois ou quatre heures, la favorisait maintenant en ramenant les eaux du Saint-John vers son embouchure.

Enfin la cloche se fit entendre. Les roues, contrebattant la surface du fleuve, arrêtèrent le Shannon, qui vint se ranger près de l’appontement au rappel de ses amarres.

L’embarquement se fit aussitôt avec une certaine hâte. Un des groupes passa le premier à bord, sans que l’autre groupe cherchât à le devancer. Cela tenait, sans doute, à ce que celui-ci attendait un ou plusieurs passagers en retard, qui risquaient de manquer le bateau, car deux ou trois hommes s’en détachèrent pour aller jusqu’au quai de Picolata, en un point où débouche la route de Saint-Augustine. De là, ils regardaient dans la direction de l’est, en gens visiblement impatientés.

Et ce n’était pas sans raison, car le capitaine du Shannon, posté sur la passerelle, criait :

« Embarquez ! Embarquez !

— Encore quelques minutes, répondit l’un des individus du second groupe, qui était resté sur l’appontement.

— Je ne puis attendre, messieurs.

— Quelques minutes !

— Non ! Pas une seule !

— Rien qu’un instant !

— Impossible ! La marée descend, et je risquerais de ne plus trouver assez d’eau sur la barre de Jacksonville !