Page:Verne - Une ville flottante, 1872.djvu/130

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C’était un grand navire de quinze cents tonneaux, en tôle d’acier, et dans lequel tout avait été combiné pour obtenir une marche supérieure. Sa machine, sortie des ateliers de Lancefield−Forge, était à haute pression, et possédait une force effective de cinq cents chevaux. Elle mettait en mouvement deux hélices jumelles, situées de chaque côté de l’étambot, dans les parties fines de l’arrière, et complètement indépendantes l’une de l’autre, − application toute nouvelle du système de MM. Dudgeon de Millwal, qui donne une grande vitesse aux navires et leur permet d’évoluer dans un cercle excessivement restreint. Quant au tirant d’eau du Delphin, il devait être peu considérable. Les connaisseurs ne s’y trompaient pas, et ils en concluaient avec raison que ce navire était destiné à fréquenter les passes d’une moyenne profondeur. Mais enfin toutes ces particularités ne pouvaient justifier en aucune façon l’empressement public. En somme, le Delphin n’avait rien de plus, rien de moins qu’un autre navire. Son lancement présentait−il donc quelque difficulté mécanique à surmonter ? Pas davantage. La Clyde avait déjà reçu dans ses eaux maint bâtiment d’un tonnage plus considérable, et la mise à flot du Delphin devait s’opérer de la façon la plus ordinaire.

En effet, quand la mer fut étale, au moment où le jusant se faisait sentir, les manœuvres commencèrent ; les coups de maillet retentirent avec un ensemble parfait sur les coins destinés à soulever la quille du navire. Bientôt un tressaillement courut dans toute la massive construction ; si peu qu’elle eût été soulevée, on sentit qu’elle s’ébranlait ; le glissement se détermina, s’accéléra, et, en quelques instants, le Delphin, abandonnant la cale soigneusement suiffée, se plongea dans la Clyde au milieu d’épaisses volutes de vapeurs blanches. Son arrière buta contre le fond de vase de la rivière, puis il se releva sur le dos d’une vague géante, et le magnifique steamer, emporté par son élan, aurait été se briser sur les quais des chantiers de Govan, si toutes ses ancres, mouillant à la fois avec un bruit formidable, n’eussent enrayé sa course.

Le lancement avait parfaitement réussi. Le Delphin se balançait tranquillement sur les eaux de la Clyde. Tous les spectateurs battirent des mains, quand il prit possession de son élément naturel, et des hurrahs immenses s’élevèrent sur les deux rives.

Mais pourquoi ces cris et ces applaudissements ? Sans doute les plus passionnés des spectateurs auraient été fort empêchés d’expliquer leur enthousiasme. D’où venait donc l’intérêt tout particulier excité par ce navire ? Du mystère qui couvrait sa destination, tout simplement. On ne savait à quel genre de commerce il allait se livrer, et, en interrogeant les divers groupes de curieux, on se fût étonné à bon droit de la diversité des opinions émises sur ce grave sujet.

Cependant les mieux informés, ou ceux qui se prétendaient tels, s’accordaient à