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aventures

— Mon ami Mokoum, reprit l’astronome, ceux que nous attendons viennent d’Angleterre, et nous pouvons bien leur accorder huit jours de grâce. Il faut tenir compte des longueurs d’une traversée, des retards que le remontage de l’Orange peut occasionner à leur barque à vapeur, en un mot, des mille difficultés inhérentes à une semblable entreprise. On nous a dit de tout préparer pour un voyage d’exploration dans l’Afrique australe, puis cela fait, de venir attendre aux chutes de Morgheda mon collègue, le colonel Everest, de l’observatoire de Cambridge. Voici les chutes de Morgheda, nous sommes à l’endroit désigné, nous attendons. Que voulez-vous de plus, mon digne bushman ? »

Le chasseur voulait davantage sans doute, car sa main tourmentait fébrilement la batterie de son rifle, un excellent Manton, arme de précision, à balle conique, qui permettait d’abattre un chat sauvage ou une antilope à une distance de huit à neuf cents yards. On voit que le bushman avait renoncé au carquois d’aloës et aux flèches empoisonnées de ses compatriotes pour employer les armes européennes.

« Mais ne vous êtes-vous point trompé, monsieur Emery, reprit Mokoum. Est-ce bien aux chutes de Morgheda, et vers la fin de ce mois de janvier que l’on vous a donné rendez-vous ?

— Oui, mon ami, répondit tranquillement William Emery, et voici la lettre de M. Airy, le directeur de l’observatoire de Greenwich, qui vous prouvera que je ne me suis pas trompé. »

Le bushman prit la lettre que lui présentait son compagnon. Il la tourna et la retourna en homme peu familiarisé avec les mystères de la calligraphie. Puis la rendant à William Emery :

« Répétez-moi donc, dit-il, ce que raconte ce morceau de papier noirci ? »

Le jeune savant, doué d’une patience à toute épreuve, recommença un récit vingt fois fait déjà à son ami le chasseur. Dans les derniers jours de l’année précédente, William Emery avait reçu une lettre qui l’avisait de la prochaine arrivée du colonel Everest et d’une commission scientifique internationale à destination de l’Afrique australe. Quels étaient les projets de cette commission, pourquoi se transportait-elle à l’extrémité du continent africain ? Emery ne pouvait le dire, la lettre de M. Airy se taisant à ce sujet. Lui, suivant les instructions qu’il avait reçues, s’était hâté de préparer à Lattakou, une des stations les plus septentrionales de la Hottentotie, des chariots, des vivres, en un mot tout ce qui était nécessaire au ravitaillement d’une caravane boschjesmane. Puis, connaissant de réputation le chasseur indigène Mokoum, qui avait accompagné Anderson dans ses chasses de l’Afrique occidentale et l’intrépide David Livingstone lors