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aventures

— Ils viendront, mon brave chasseur, répondit William Emery. Ce sont des hommes de parole, et ils seront exacts comme des astronomes. D’ailleurs, que leur reprochez-vous ? La lettre annonce leur arrivée pour la fin du mois de janvier. Nous sommes au vingt-sept de ce mois, et ces messieurs ont droit à quatre jours encore pour atteindre les chutes de Morgheda.

— Et si, ces quatre jours écoulés, ils n’ont pas paru ? demanda le bushman.

— Eh bien ! maître chasseur, ce sera l’occasion ou jamais d’exercer notre patience, car nous les attendrons jusqu’au moment où il me sera bien prouvé qu’ils n’arriveront plus !

— Par notre Dieu Kô ! s’écria le bushman d’une voix retentissante, vous seriez homme à attendre que le Gariep ne précipite plus ses eaux retentissantes dans cet abîme !

— Non ! chasseur, non, répondit William Emery d’un ton toujours calme. Il faut que la raison domine tous nos actes. Or, que nous dit la raison : c’est que si le colonel Everest et ses compagnons, harassés par un voyage pénible, manquant peut-être du nécessaire, perdus dans cette solitaire contrée, ne nous trouvaient pas au lieu de rendez-vous, nous serions blâmables à tous égards. Si quelque malheur arrivait, la responsabilité en retomberait justement sur nous. Nous devons donc rester à notre poste tant que le devoir nous y obligera. D’ailleurs, nous ne manquons de rien ici. Notre chariot nous attend au fond de la vallée, et nous offre un abri sûr pour la nuit. Les provisions sont abondantes. La nature est magnifique en cet endroit et digne d’être admirée ! C’est un bonheur tout nouveau pour moi de passer quelques jours sous ces forêts superbes, au bord de cet incomparable fleuve ! Quant à vous, Mokoum, que pouvez-vous désirer ? Le gibier de poil ou de plume abonde dans ces forêts, et votre rifle fournit invariablement notre venaison quotidienne. Chassez, mon brave chasseur, tuez le temps en tirant des daims ou des buffles. Allez, mon brave bushman. Pendant ce temps, je guetterai les retardataires, et au moins, vos pieds ne risqueront pas de prendre racine ! »

Le chasseur comprit que l’avis de l’astronome était bon à suivre. Il résolut donc d’aller battre pendant quelques heures les broussailles et les taillis des alentours. Lions, hyènes ou léopards n’étaient pas pour embarrasser un Nemrod tel que lui, des forêts africaines. Il siffla son chien Top, une espèce de « cynhiène » du désert Kalaharien, descendant de cette race dont les Balabas ont fait autrefois des chiens courants. L’intelligent animal, qui semblait être aussi impatient que son maître, se leva en bondissant, et témoigna par ses aboiements joyeux de l’approbation qu’il