Page:Verne - Une ville flottante, 1872.djvu/232

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s’imbibait d’une eau stagnante qui alimentait les affluents du Kuruman.

« Je pense, colonel Everest, dit Mathieu Strux, après avoir observé cette nappe herbeuse, je pense que lorsque notre base sera établie, nous pourrons fixer ici même le point terminal de la méridienne.

— Je penserai comme vous, monsieur Strux, répondit le colonel Everest, dès que nous aurons déterminé la longitude exacte de ce point. Il faut, en effet, reconnaître, en le reportant sur la carte, si cet arc de méridien ne rencontre pas sur son parcours des obstacles infranchissables qui pourraient arrêter l’opération géodésique.

— Je ne le crois pas, répondit l’astronome russe.

— Nous le verrons bien, répondit l’astronome anglais. Mesurons d’abord la base en cet endroit, puisqu’il se prête à cette opération, et nous déciderons ensuite s’il conviendra de la relier par une série de triangles auxiliaires au réseau des triangles que devra traverser l’arc du méridien. »

Cela décidé, on résolut de procéder sans retard à la mesure de la base. L’opération devait être longue, car les membres de la commission anglo-russe voulaient l’accomplir avec une exactitude rigoureuse. Il s’agissait de vaincre en précision les mesures géodésiques faites en France sur la base de Melun, mesures si parfaites cependant, qu’une nouvelle base, mesurée plus tard près de Perpignan, à l’extrémité sud de la triangulation, et destinée à la vérification des calculs exigés par tous les triangles, n’indiqua qu’une différence de onze pouces sur une distance de trois cent trente milles toises[1], entre la mesure directement obtenue et la mesure seulement calculée.

Les ordres pour le campement furent alors donnés, et une sorte de village bochjesman, une espèce de kraal, s’improvisa dans la plaine. Les chariots furent disposés comme des maisons véritables, et la bourgade se divisa en quartier anglais et en quartier russe au-dessus desquels flottaient les pavillons nationaux. Au centre s’étendait une place commune. Au delà de la ligne circulaire des chariots paissaient les chevaux et les buffles sous la garde de leurs conducteurs, et pendant la nuit, on les faisait rentrer dans l’enceinte formée par les chariots, afin de les soustraire à la rapacité des fauves qui sont très communs dans l’intérieur de l’Afrique australe.

Ce fut Mokoum qui se chargea d’organiser les chasses destinées au ravitaillement de la bourgade. Sir John Murray, dont la présence n’était pas indispensable pour la mesure de la base, s’occupa plus spécialement du service des vivres. Il importait, en effet, de ménager les viandes conservées, et de fournir quotidiennement à la caravane un ordinaire de

  1. Soit 175 lieues.