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de trois russes et de trois anglais

Murray était très vexé, sans vouloir en convenir : un chasseur émérite revenir « bredouille ! » jamais ! Il se promit donc de tirer le premier animal, quel qu’il fût, oiseau ou quadrupède, gibier ou fauve, qui passerait à portée de son fusil.

Le sort sembla le favoriser. Les deux chasseurs ne se trouvaient pas à trois milles du kraal, quand un rongeur, de cette espèce africaine désignée sous le nom de « lepus rupestris, » un lièvre en un mot, s’élança d’un buisson à cent cinquante pas de sir John. Sir John n’hésita pas, et envoya à l’inoffensif animal une balle de sa carabine.

Le bushman poussa un cri d’indignation. Une balle à un simple lièvre dont on aurait eu raison avec « du six ! » Mais le chasseur anglais tenait à son rongeur, et il courut au galop vers l’endroit où la bête avait dû tomber.

Course inutile ! De ce lièvre nulle trace ; un peu de sang sur le sol, mais pas un poil. Sir John cherchait sous les buissons, parmi les touffes d’herbe. Les chiens furetaient vainement à travers les broussailles.

« Je l’ai pourtant touché ! s’écriait sir John.

— Trop touché ! répondit tranquillement le bushman. Quand on tire un lièvre avec une balle explosive, il serait étonnant qu’on en retrouvât une parcelle ! »

Et en effet, le lièvre s’était dispersé en morceaux impalpables ! Son Honneur, absolument dépité, remonta sur son cheval, et, sans ajouter un mot, il regagna le campement.

Le lendemain, le bushman s’attendait à ce que sir John Murray lui fit de nouvelles propositions de chasse. Mais l’Anglais, très éprouvé dans son amour-propre, évita de se rencontrer avec Mokoum. Il parut oublier tout projet cynégétique, et s’occupa de vérifier les instruments et de faire des observations. Puis, par délassement, il visita le kraal bochjesman, regardant les hommes s’exercer au maniement de l’arc, ou jouer du « gorah, » sorte d’instrument composé d’un boyau tendu sur un arc, et que l’artiste met en vibration en soufflant à travers une plume d’autruche. Pendant ce temps, les femmes vaquaient aux travaux du ménage, en fumant le « matokouané, » c’est-à-dire la plante malsaine du chanvre, distraction partagée par le plus grand nombre des indigènes. Suivant l’observation de certains voyageurs cette inhalation du chanvre augmente la force physique au détriment de l’énergie morale. Et, en effet, plusieurs de ces Bochjesmen paraissaient comme hébétés par l’ivresse du matokouané.

Le lendemain, 17 mai, sir John Murray, au petit jour, fut réveillé par cette simple phrase prononcée à son oreille :

« Je crois, Votre Honneur, que nous serons plus heureux aujour-