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de trois russes et de trois anglais

station en deçà du fleuve, avec les deux stations situées au delà ; que si son avis eût été suivi, l’expédition ne se trouverait pas dans l’embarras ; que si le sort de la triangulation était compromis par ce retard, la responsabilité en remonterait à ceux qui avaient cru devoir…, etc… Qu’en tout cas, les Russes…, etc.

Le colonel Everest, on le pense bien, protesta contre ces insinuations de son collègue, rappelant que la décision avait été prise en commun ; mais sir John Murray intervint, et demanda que cette discussion, parfaitement oiseuse, d’ailleurs, fût immédiatement close. Ce qui était fait était fait, et toutes les récriminations du monde ne changeraient rien à la situation. Il fut dit seulement que si le lendemain, la caravane bochjesmane n’avait pas rallié les Européens, William Emery et Michel Zorn, qui s’étaient offerts, iraient à sa recherche en descendant vers le sud-ouest sous la conduite du foreloper. Pendant leur absence, le colonel Everest et ses collègues demeureraient au campement, et attendraient leur retour pour prendre une détermination.

Ceci convenu, les deux rivaux se tinrent à l’écart l’un de l’autre pendant le reste de la journée. Sir John Murray occupa son temps en battant les taillis voisins. Mais le gibier de poil lui fit défaut. Quant aux volatiles, il ne fut pas très heureux au point de vue comestible. En revanche, le naturaliste, dont est souvent doublé un chasseur, eut lieu d’être satisfait. Deux remarquables espèces tombèrent sous le plomb de son fusil. Il rapporta un beau francolin, long de treize pouces, court de tarse, gris foncé au dos, rouge de pattes et de bec, dont les élégantes rémiges se nuançaient de couleur brune ; remarquable échantillon de la famille des tétraonidés, dont la perdrix est le type. L’autre oiseau, que sir John avait abattu par un remarquable coup d’adresse, appartenait à l’ordre des rapaces. C’était une espèce de faucon particulier à l’Afrique australe, dont la gorge est rouge, la queue blanche, et que l’on cite justement pour la beauté de ses formes. Le foreloper dépouilla adroitement ces deux oiseaux, de manière à ce que leur peau pût être conservée intacte.

Les premières heures du 23 juin s’étaient déjà écoulées. La caravane n’avait pas encore été signalée, et les deux jeunes gens allaient se mettre en route, quand des aboiements éloignés suspendirent leur départ. Bientôt, au tournant d’un taillis d’aloës situé sur la gauche du campement, le chasseur Mokoum apparut sur son zèbre lancé à toute vitesse.

Le bushman avait devancé la caravane, et s’approchait rapidement des Européens.

« Arrivez donc, brave chasseur, s’écria joyeusement sir John Murray. Véritablement, nous désespérions de vous ! Savez-vous que je ne me serais