Page:Verne - Une ville flottante, 1872.djvu/280

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
92
aventures

on le reconnut alors, n’était franchissable que par un contrefort du sud-ouest. Or précisément, dans l’unique défilé qui aboutit à ce contrefort, une troupe de lions avait établi son « kraal, » suivant l’expression du foreloper. Vainement le colonel Everest essaya de déloger ces formidables animaux ; insuffisamment armé, il dut battre en retraite, après avoir perdu un cheval auquel un magnifique lion avait cassé les reins d’un coup de patte.

Un tel récit ne pouvait qu’enflammer sir John Murray et le bushman. Cette « montagne des Lions » était une station à conquérir, station absolument nécessaire, d’ailleurs, à la continuation des travaux géodésiques. L’occasion de se mesurer contre les plus redoutables individus de la race féline était trop belle pour n’en point profiter, et l’expédition fut immédiatement organisée.

Tous les savants européens, sans en excepter le pacifique Palander, voulaient y prendre part ; mais il était indispensable que quelques-uns demeurassent au campement pour la mesure des angles adjacents à la base du nouveau triangle. Le colonel Everest, comprenant que sa présence était nécessaire au contrôle de l’opération, se résigna à rester en compagnie des deux astronomes russes. D’autre part, il n’y avait aucun motif qui pût retenir sir John Murray. Le détachement, destiné à forcer les abords de la montagne, se composa donc de sir John, de William Emery et de Michel Zorn, aux instances desquels leurs chefs avaient dû se rendre, puis du bushman qui n’eût cédé sa place à personne, et enfin de trois indigènes dont Mokoum connaissait le courage et le sang-froid.

Après avoir serré la main à leurs collègues, les trois Européens, vers quatre heures du soir, quittèrent le campement, et s’enfoncèrent sous le taillis, dans la direction de la montagne. Ils poussèrent rapidement leurs chevaux, et à neuf heures du soir, ils avaient franchi la distance de trente milles.

Arrivés à deux milles du mont, ils mirent pied à terre et organisèrent leur couchée pour la nuit. Aucun feu ne fut allumé, car Mokoum ne voulait pas attirer l’attention des animaux qu’il désirait combattre au grand jour, ni provoquer une attaque nocturne.

Pendant cette nuit, les rugissements retentirent presque incessamment. C’est pendant l’obscurité, en effet, que ces redoutables carnassiers abandonnent leur tanière et se mettent en quête de nourriture. Aucun des chasseurs ne dormit, même une heure, et le bushman profita de cette insomnie pour leur donner quelques conseils que son expérience rendait précieux.

« Messieurs, leur dit-il d’un ton parfaitement calme, si le colonel Everest ne s’est pas trompé, nous aurons affaire demain à une bande de